Ruth , Une histoire de fidélités

Eglise Reformée d’Argenteuil, Asnières, Bois Colombes, Colombes

le 23-8-2020 Pasteur Denis Heller  

1Du temps des juges, il y eut une famine dans le pays. Un homme de Bethléem de Juda partit, avec sa femme et ses deux fils, pour faire un séjour dans le pays de Moab.

2Le nom de cet homme était Élimélec, celui de sa femme Naomi, et ses deux fils s’appelaient Machlon et Kiljon; ils étaient Éphratiens, de Bethléhem de Juda. Arrivés au pays de Moab, ils y fixèrent leur demeure.

3Élimélec, mari de Naomi, mourut, et elle resta avec ses deux fils.

4Ils prirent des femmes Moabites, dont l’une se nommait Orpa, et l’autre Ruth, et ils habitèrent là environ dix ans.

5Machlon et Kiljon moururent aussi tous les deux, et Naomi resta privée de ses deux fils et de son mari.

6Puis elle se leva, elle et ses belles-filles, afin de quitter le pays de Moab, car elle apprit au pays de Moab que l’Éternel avait visité son peuple et lui avait donné du pain.

7Elle sortit du lieu qu’elle habitait, accompagnée de ses deux belles-filles, et elle se mit en route pour retourner dans le pays de Juda.

8Naomi dit alors à ses deux belles-filles: Allez, retournez chacune à la maison de sa mère! Que l’Éternel use de bonté envers vous, comme vous l’avez fait envers ceux qui sont morts et envers moi !

9Que l’Éternel vous fasse trouver à chacune du repos dans la maison d’un mari! Et elle les baisa. Elles élevèrent la voix, et pleurèrent ;

10et elles lui dirent: Non, nous irons avec toi vers ton peuple.

11Naomi, dit: Retournez, mes filles! Pourquoi viendriez-vous avec moi ? Ai-je encore dans mon sein des fils qui puissent devenir vos maris ?

12Retournez, mes filles, allez! Je suis trop vieille pour me remarier. Et quand je dirais : J’ai de l’espérance ; quand cette nuit même je serais avec un mari, et que j’enfanterais des fils,

13attendriez-vous pour cela qu’ils eussent grandi, refuseriez-vous pour cela de vous marier? Non, mes filles ! car à cause de vous je suis dans une grande affliction de ce que la main de l’Éternel s’est étendue contre moi.

14Et elles élevèrent la voix, et pleurèrent encore. Orpa baisa sa belle-mère, mais Ruth s’attacha à elle.

15Naomi dit à Ruth: Voici, ta belle-sœur est retournée vers son peuple et vers ses dieux; retourne, comme ta belle-sœur.

16Ruth répondit: Ne me presse pas de te laisser, de retourner loin de toi! Où tu iras j’irai, où tu demeureras je demeurerai ; ton peuple sera mon peuple, et ton Dieu sera mon Dieu ;

17où tu mourras je mourrai, et j’y serai enterrée. Que l’Éternel me traite dans toute sa rigueur, si autre chose que la mort vient à me séparer de toi !

18Naomi, la voyant décidée à aller avec elle, cessa ses instances.

19Elles firent ensemble le voyage jusqu’à leur arrivée à Bethléhem. Et lorsqu’elles entrèrent dans Bethléhem, toute la ville fut émue à cause d’elles, et les femmes disaient : Est-ce là Naomi ?

20Elle leur dit: Ne m’appelez pas Naomi; appelez-moi Mara, car le Tout Puissant m’a remplie d’amertume.

21J’étais dans l’abondance à mon départ, et l’Éternel me ramène les mains vides. Pourquoi m’appelleriez-vous Naomi, après que l’Éternel s’est prononcé contre moi, et que le Tout Puissant m’a affligée ?

22Ainsi revinrent du pays de Moab Naomi et sa belle-fille, Ruth la Moabite. Elles arrivèrent à Bethléhem au commencement de la moisson des orges.

Voilà comme annoncé cette belle histoire de Ruth, en écho à des remarques d’amis catholiques me disant : « mais vous protestants, vous n’avez pas de figure féminine marquante ! Nous, nous avons Marie que nous prions, vénérons, surtout à l’Assomption le 15 août et cela il y a seulement quelques jours ! »

Et bien pour montrer que la figure féminine n’est pas absente du protestantisme, intéressons-nous ce matin à Ruth, une belle figure féminine biblique comme bien d’autres : Marie pour ne pas la citer, Marie-Madeleine ; Marthe, Sara, Débora, Rebecca. Il est vrai qu’elle est avec Esther, la seule femme à avoir donné son nom à un livre biblique. Pas d’Évangile au féminin.

Alors plongeons nous dans cette histoire de Ruth. Je ne vous ai lu que le 1er chapitre. Le livre en son entier en contient 4, comme 4 tableaux. Je vous recommande une fois rentrés chez vous, ce soir par exemple de vous installer confortablement dans un fauteuil et d’en poursuivre la lecture comme une petite nouvelle littéraire !  Je m ‘intéresse ce matin particulièrement au 1er chapitre.

La période est mentionnée : au temps des Juges, c’est à dire qu’il n’y a pas encore de roi en Israël. Les personnages sont bien campés : Naomie, son mari Elimelec, leurs deux fils Machlon et Kiljon, leurs deux belles filles Orpa et Ruth, puis dans les autres chapitres un dénommé Booz. Les lieux géographiques bien précisés : d’abord Bethléem en Judée puis le pays de Moab. Un récit facile à lire, agréable à découvrir car il y a du mouvement, des événements, des intrigues. On ne s’ennuie pas et un récit qui se termine bien avec en filigrane de belles conclusions à tirer. Oui pour tout vous dire un vrai joyau qui pourrait donner lieu à une vraie pièce de théâtre (ce qui je crois est le cas) ou à un feuilleton télévisé.

Alors commençons par le commencement. Un couple Naomie et et Elimelec de Bethléem doit quitter la Judée avec leurs deux fils pour le pays de Moab, à cause de la famine. Ils vont ailleurs pour trouver de quoi manger. Une nécessité de partir pour survivre et pour offrir à leurs enfants un avenir digne.

Rien de nouveau sous le soleil, pourrait-on dire avec l’Ecclésiaste. Quand nous pensons aux migrants qui encore aujourd’hui, partent sur les routes, traversent les mers, franchissent les frontières dans l’espoir de trouver une terre d’accueil qui puisse les nourrir, les faire vivre eux et leurs enfants.

Ils semblent bien accueillis dans leur nouveau pays puisqu’ils s’y fixèrent leur demeure nous dit-on.

Mais premier malheur, Elimélec le père de famille meurt. Un malheur suivi cependant de deux événements heureux : les deux fils se marient avec deux filles du pays, deux moabites, Orpa et notre fameuse Ruth. Dix ans de vie commune pour chaque couple. Mais après ce temps de sérénité, voici le malheur qui s’abat à nouveau sur cette famille. Les deux époux, les deux fils de Naomie meurent à leur tour ; Naomie se retrouve seule avec ses deux belles filles, toutes deux Moabites.

Ainsi va la vie, pourrait-on dire, une succession de bonheurs et de malheurs, que l’on soit de Judée ou de Moab, du peuple d’Israël ou d’ailleurs, croyants ou incroyants. Et cela nous est raconté de manière très brève et lapidaire, sans commentaire, sans explication. Une succession d’événements alors d’autant plus difficiles à accepter.

Ce récit fictif ou non, on ne le sait pas, ne présente jusque-là pas beaucoup d’intérêt sinon de nous rappeler le quotidien de bien des immigrés, traversé à la fois par le malheur et l’espoir en recherche d’intégration. C’est après cette introduction qui campe le décor que le récit devient instructif et interpellant.

Que va devenir Naomie ? Rester ou partir ?  Quelles seront les choix de ses belles filles Orpa et Ruth ? Rester ou partir ?

Avant de voir la suite, un regard sur la signification des noms qui en eux-mêmes sont porteurs de sens et orientent une compréhension du récit.

Elimélek signifie « Mon Dieu est roi » ; Naomie ; « Ma gracieuse ». Par contre les noms des deux fils sont tout autres. Machlon signifie » maladie » ; Kiljon « Fragilité ». Les deux belles filles étrangères ; Orpa signifie « nuque » comme pour rappeler qu’elle va tourner la nuque à l’égard de Naomie et enfin Ruth « celle qui réconforte » « celle qui est amie ». Plus tard, viendra Booz » celui qui a force en lui ». Des noms propres à forte valeur symbolique comme souvent dans la Bible.

Mais voyons la situation de Naomie. Que va-t-elle faire ? Quel sera son choix ? Rester dans le pays de Moab où plus rien vraiment ne la retient ? Il en aurait été autrement, si elle avait eu des petits enfants de la 2éme génération, ayant connu comme seul pays, comme seule langue le pays de Moab. Rentrer au pays de Judée à Bethléem les mains vides ? Mais quelle honte ? On ne peut rentrer chez soi qu’en ayant réussi. C’est malheureusement l’idée qui circule encore dans bien des pays.

« Ne m’appelez pas Naomie la gracieuse mais Marra, c’est à dire remplie d’amertume » rappelez-vous les eaux de Mara ; les eaux amères que le peuple connaît au désert après l’exode.

Choix difficile car dans un cas comme dans l’autre c’est la désolation et le dénuement qui l’attendent. Quelle fidélité va la faire basculer ? Quelle fidélité va être la plus forte ? Fidélité à son nouveau pays et éventuellement aux liens avec ses belles filles ou fidélité à son peuple, au Dieu de l’alliance révélé à son peuple. Un choix de fidélité et de loyauté difficile à faire.

Et il en est de même pour Ruth la Moabite. Va-t-elle suivre sa belle-mère ou rester au pays ?

Fidélité à ses racines, à sa terre, à son pays d’origine ou fidélité à sa nouvelle famille, à sa belle-mère et au travers de cette fidélité, une fidélité à un nouveau peuple, au peuple de l’alliance et au-delà au Dieu dont elle a perçu l’existence au travers de la vie de sa belle-famille. Choix de fidélité et de loyauté ?

Il nous arrive aussi d’avoir des choix délicats à faire, des décisions importantes à prendre entre plusieurs fidélités. Conflits de fidélités, de loyautés qui nous traversent et nous font hésiter.

Les décisions sont prises ; Naomie rentrera chez elle ; il est vrai que des raisons économiques l’ont aidée à faire son choix. La judée connaît à nouveau prospérité. Ruth l’étrangère l’accompagnera contrairement à l’autre belle fille Orpa.

« Ne me presse pas de te laisser, de retourner loin de toi » dit Ruth à Naomie.

« Où tu iras, j’irai ; où tu demeureras je demeurerai ; ton peuple sera mon mon peuple ; ton Dieu sera mon Dieu »

Ruth la moabite l’étrangère opte pour le lien d’affection avec Naomie, opte pour le Dieu de l’alliance, opte pour la terre de Judée. Le lien de fidélité à Naomie, le lien de fidélité au Dieu de l’Alliance ont primé sur les liens à sa terre et à ses origines. Elle, l’étrangère a osé franchir une barrière jusqu’alors inviolable. Le lien à l’autre et à Dieu a pris le dessus sur les liens au passé, à son histoire, aux traditions. Une fidélité nouvelle l’a saisi pour vivre un lien de liberté et la mettre en mouvement sans crainte vers la nouveauté, l’imprévu, les surprises, la prise de risque. Elle va vivre dans un pays nouveau simplement par fidélité à Naomie et à Dieu. Tout le reste sera nouveau et risqué pour elle. Si elle a franchi le pas en faisant le choix du Dieu de l’alliance et de son peuple, au travers de la personne de Naomie, question : Va-t-elle être accueillie, reçue ?

Il faudrait relire attentivement les chapitres suivants 2, 3, 4 pour connaître la suite. Les deux femmes arrivent à Bethléem au temps des moissons. Pour subsister Ruth va comme cela est permis pour les plus pauvres, glaner ce qui reste dans les champs moissonnés.

Je fais vite ! Pour en connaître le détail, lisez attentivement les trois chapitres suivants ! Elle va faire connaissance de Booz, un homme juste et droit qui va la recevoir, l’aider, l’accueillir. Comme vous vous en doutez, ils vont se marier !

Conflit de fidélités aussi pour Booz ; l’homme droit, fidèle à Dieu. Peut-il se marier avec une étrangère, une Moabite ? Lui aussi comme Ruth, il franchit les frontières. La fidélité à Ruth qui s’instaure au travers d’une relation d’estime réciproque, de bienveillance, de respect prend le dessus sur les considérations de nationalité et d’appartenance ethnique.

« Que l’Éternel rende la femme qui entre dans ta maison semblable à Rachel et à Léa qui toutes les deux ont bâti la maison d’Israël, ; puisse la postérité que l’Éternel te donnera par cette jeune femme rendre ta maison semblable à la maison de Perek » qui a eu une postérité, avec des enfants.

Paroles des témoins du mariage.

Les barrières,les exclusives volent en éclat.

Ruth est accueillie comme l’une des leurs, comme Rachel et Léa. Elle entre dans l’alliance de Dieu des Pères, d’Abraham, d’Isaac et Jacob, elle la Moabite, elle l’étrangère.

Elle n’est plus étrangère. Et comme toute belle histoire, elle se termine par » et ils eurent beaucoup d’enfants ». Ce qui est le cas ; parmi les descendants, le roi David et Jésus. D’ailleurs Ruth est citée dans la généalogie de Jésus au début de l’Évangile de Matthieu.

Belle histoire qui vient rappeler au-delà de nos conflits de fidélité et de nos choix parfois difficiles à faire, la fidélité de Dieu, révélée au peuple d’Israël mais qui s’ouvre déjà aux autres peuples, à Ruth la Moabite, l’étrangère.

Une fidélité de Dieu pour tous les peuples, pour tous qui sera manifeste en Jésus-Christ ; elle fait sauter les barrières qu’érigent les humains entre eux, même les mesures barrières actuelles.

Car dans nos conflits de fidélités, comme pour Ruth, comme pour Booz, la fidélité à l’autre reconnu comme un prochain quel qu’il soit et la fidélité à Dieu, nous donnent en toute circonstance une liberté de rencontres, de partages, de paroles, de lien humain, même dans un contexte de distance physique et de crise sanitaire.

Amen