Quel Jésus-Christ transmettre ? (dimanche 7 février 2016)

Texte biblique : Matthieu 13, 53-58; 16, 13-21

« Et vous, qui dites-vous que je suis ? « 

Dimanche dernier, plus d’une centaine d’enfants et d’adultes juifs, coptes, catholiques, musulmans et protestants, se sont retrouvés, autour d’un quizz inter-religieux : « Connais-tu la religion de tes voisins ? »

Partageant autour de ce qui les rassemble et de ce qui les différencie, les participants ont conclu qu’ils retrouvaient autour de l’existence en un seul Dieu, du respect de l’environnement, de la justice et de la compassion de Dieu. Mais, évidemment, seuls les chrétiens ont affirmé que, pour eux, Jésus est le Christ, qu’il n’est pas un messager, comme Moïse ou Mahomet mais le Message.

Autrement dit, alors que, pour les juifs, le message c’est la torah et que pour les musulmans, le message c’est le coran, pour les chrétiens, le message, ce n’est pas un livre, c’est une personne, c’est le Christ.

Ainsi, et ce n’est pas un scoop, le Christ est au centre du christianisme.

C’est donc en toute logique que, vous, parents de Carmen et Théo, vous vous êtes engagés à le leur faire connaître : « Nous nous engageons à témoigner envers elle d’une vie éclairée par Christ »; « Nous nous engageons de tout cœur à lui faire connaître la Parole du Christ ».

En effet, si vous leur transmettiez seulement des valeurs humanistes, ce serait très bien mais ils ne pourraient pas découvrir combien cheminer avec le Christ libère.

Et si vous leur transmettiez seulement l’idée d’une transcendance et l’importance de la méditation, ce serait très bien mais vous ne les conduiriez pas à cette source infinie de joie qu’est le Christ.

Jésus-Christ est donc le centre, la source.

Mais de quel Jésus-Christ s’agit-il ?

Peut-être croyez-vous que ma question est stupide !

Jésus-Christ, nous le connaissons tous.

Malgré tout, si nous échangions maintenant, les uns avec les autres, nous nous rendrions compte que Jésus-Christ n’est pas forcément le même pour chacun d’entre nous.

Et tant mieux, car cela montre qu’il garde toujours sa part d’inconnu.

En ce sens, le récit de la prédication à Nazareth n’a rien d’étonnant.

Bien sûr, nul n’est prophète en son pays .

Aux yeux des siens, l’ enfant du pays reste l’enfant du pays ; comment pourraient-ils ouvrir les yeux si rapidement, devant un tel événement, une telle révélation ?

Seulement, l’enfant du pays n’est pas que cela, il est aussi cet homme unique, cet homme rendu vertigineusement libre par une main posée sur lui, par une voix entrée en lui.

Même si nous héritons de 2000 ans de christianisme, même si certains d’entre nous sont chrétiens depuis leur enfance, nous sommes un peu comme les gens de Nazareth, devant l’enfant du pays.

Nous croyons le connaître et voici que sous ses traits se dévoilent ceux d’un quasi inconnu.

Alors, comment permettre à vos enfants de découvrir, étape par étape, différents visages du Christ? Comment les accompagner dans ce cheminement spirituel ?

Première étape : celle de la première rencontre.

Chacun d’entre nous, s’il y réfléchit ou s’il se plonge dans les origines de sa foi, peut retrouver les premières traces de Jésus-Christ dans sa mémoire.

Même si cela reste flou et lointain, il y a eu une première rencontre … quelques paroles qui ont retenu notre attention, une image qui nous a frappés, un chant, une histoire.

Ce peut -être :

Un récit d’évangile où Jésus guérit un malade.

Un cantique aux accents fervents et à la mélodie entraînante.

Un Christ de pierre, exerçant justice et miséricorde sur le tympan d’un porche roman.

Un Jésus auquel un acteur prête sa voix et son visage.

Une passion de Jean-Sébastien Bach ou un chant gospel.

Une veillée de Noël

L’image mentale de Jésus qui meurt puis qui n’est plus mort…et qui s’envole dans les airs en nous disant « au revoir »

Dans l’histoire de notre foi, Jésus-Christ, c’est d’abord cela : une rencontre sensible avec un personnage à la fois exceptionnel et ordinaire, infiniment proche et infiniment mystérieux.

A travers ces images, il ne s’agit pas de faire un catalogue d’images pieuses.

Il s’agit de comprendre que, pour chacun de nous, dans notre histoire, il y a ce qu’on pourrait appeler la première image.

Et cette première image n’est pas une image extérieure à nous-même; c’est une image éminemment personnelle, qui s’est imprimée en nous.

Il s’agit en quelque sorte de la scène primitive de notre foi, que cette scène se soit passée dans la tendre enfance ou à l’âge adulte.

Une certaine image du Christ s’est gravée en nous, et c’est peut-être encore cette image aujourd’hui qui conduit nos pas.

C’est peut-être elle qui oriente tel acte, telle attitude, tel geste; car ce Jésus-Christ de la première rencontre reste inscrit au cœur de nous-même, même si les choses ont changé depuis cette première rencontre.

Pour que Carmen et Théo vivent cette première rencontre, vous n’avez pas grand chose à faire sinon vivre avec eux des petits moments de prière ou de lecture de la Bible, aller avec eux à quelques cultes, écouter une belle musique. Et, à un moment ou à autre, à votre insu, une image se formera dans leur esprit. Ils vivront leur première rencontre.

Ils seront prêts pour la deuxième étape : la connaissance du Christ.  

A travers l’école biblique, le catéchisme, la lecture familiale, le culte, la prédication, ils se forgeront un univers de connaissances à propos du Christ.

Ils pourront ainsi, et c’est essentiel, rapprocher leur image du Christ de ce que la Bible en dit.

Ils pourront ainsi structurer leur foi et en rendre compte.

Ainsi, la connaissance des récits, paraboles, enseignements enrichira leur image du Christ.

Elle la complexifiera aussi.

Carmen et Théo découvriront qu’il n’y a pas un Jésus de la Bible mais quatre regards que Matthieu, Marc, Luc et Jean posent sur lui… sans même parler des lettres de Paul

La question de l’identité de Jésus prendra parfois la forme d’énigme, entre ses divers titres : fils de Dieu, prophète, messie, fils de l’homme sauveur etc…..

Ils se demanderont pourquoi et pour qui Jésus est mort et ressuscité.

Ils se heurteront à de grandes questions de doctrine : Etait-il homme ou Dieu ? Homme et Dieu ? Et le Saint- Esprit, le salut du monde, la trinité …

Et cela leur posera bien des questions et provoquera bieen des remise en cause.

Il y a 10 jours, nous étions réunis pour partager autour du symbole des apôtres. Et plusieurs participants ont avoué qu’ils n’arrivaient pas à croire en « la résurrection de la chair » ou au fait que « Jésus reviendra de là pour juger les vivants et les morts ».

Alors, évidemment, ils pourront grandir dans la foi sans devenir des spécialistes de la trinité ou de la double nature du Christ.

Néanmoins, inévitablement, ils seront les héritiers de penseurs qui ont beaucoup réfléchi, beaucoup écrit, beaucoup conceptualisé….beaucoup dogmatisé.

Et même si, en tant que protestants, nous avons pris ce parti des réformateurs d’en revenir à l’Ecriture seule, et même si nous nous méfions un peu des dogmes, nous ne pouvons pas faire comme s’il n’y avait pas de tradition avant nous.

Autrement dit, le Christ de l’apprentissage, c’est aussi, qu’on le veuille ou non, le Christ de l’histoire chrétienne, le Christ des théologiens, des pasteurs et catéchètes qui nous ont formés…

Mais les choses ne s’arrêtent pas là.

Celui qui veut cheminer avec le Christ ne peut refuser le dialogue avec la philosophie, l’histoire, la psychanalyse, la science.

Si nous désirons que Théo et Carmen aiment le Christ de tout leur être, comment leur demander d’abandonner leur raison ou leurs connaissances ?

Ce dialogue exigeant décapera leur foi.

Au moment de l’adolescence, ils abandonneront probablement cet environnement merveilleux qui accompagnait leur foi… au risque parfois de les faire douter : si ce que je croyais n’est pas assuré, sur quoi de solide puis-je fonder ma foi ?

Cette question est d’autant plus prégnante aujourd’hui, que le travail de déconstruction religieuse se poursuit sans cesse, alimenté par des recherches historiques plus ou sérieuses, dont des magazines nous en donnent des échos plus ou moins farfelus : « Le vrai Jésus » nous promet un magazine. Et je ne parle pas des sites internet qui diffusent volontiers une idéologie complotiste, avec des articles du style : « la vérité sur Jésus que les Eglises vous cachent depuis des millénaires ».

Sans aller jusqu’à ces élucubrations, Carmen et Théo se retrouveront face à un Christ déconstruit par rapport au Christ de leur apprentissage, qui semblait si cohérent, si certain.

Et cela leur paraîtra bien compliqué, bien déstabilisant.

Cà le sera tellement que la tentation sera forte de tout bazarder ou, au contraire, de se lancer dans une restauration traditionaliste.

Pourtant, si vous les accompagnez dans ce moment périlleux de leur construction spirituelle, s’ils auront pu nouer quelques relations de confiance dans l’Eglise, alors non seulement ces remises en cause ne les éloigneront pas de la foi mais elles deviendront les ferments d’une foi personnelle et profonde.

Oui, si vous les accompagnez jusqu’au bout, je crois qu’au bout de ce parcours, Christ les retrouvera.

Ce nom, ce visage, cet homme qu’ils ont rencontré, appris à connaître, perdu peut-être, ne les lâchera pas.

Quelqu’un les rejoindra sur la route de leur vie.

Et si Carmen et Théo auront perdu certaines de leurs certitudes, ils auront gagné la joie d’une rencontre.

Car, une fois encore, le christianisme n’est pas un ensemble de théories, de rites ou de valeurs mais une rencontre.

En nous aussi, les certitudes sont tombées, et pourtant, peut-être grâce à celà, Christ reste plus intime que jamais.

« Et vous qui dites-vous que je suis ? »

Tu es le compagnon de notre vie.

Tu es notre source.

Puisses-tu être celle de Théo et de Carmen !

Amen !