« Qand le temps des fruits approcha… » …

Cultes du 1er octobre 2017, 10 h 30 et 18 h, à Bois-Colombes

(avec Sainte Cène)

Lecture : Matthieu 21 / 33 – 46 

 Prédication :

 « Quand le temps des fruits approcha… » …

C’est le temps des récoltes, en particulier le temps des vendanges ! … Je me rappelle, dans la paroisse de mon enfance, la décoration à l’intérieur du temple : l’étalage multicolore  : pommes de toutes les couleurs, courges mon village, pommes de terre, carottes et autres fruits « de la terre », joliment présentés devant la table de la Sainte Cène…

Plus récemment, je me rappelle les belles couleurs d’automne des vignobles jurassiennes que je traversais sur la N 83 en me rendant au culte à Lons-le-Saunier depuis Besançon…

 « Quand le temps des fruits approcha… » …

C’est le temps des foires aux vins aussi que les grandes surfaces ne manquent pas de vous rappeler avec leurs brochures coloriées ! …

Dans la Bibl, le vin, et la vigne, dans la Bible, sont associées à la joie de vivre et d’aimer ! C’est ce que reflètent les versets du « chant du bien-aimé et de sa vigne » dans le livre du prophète Esaïe.

Plus explicitement encore en parlent ces versets extraits du Cantique des Cantiques où la vigne est le lieu de retrouvailles des amoureux : « Viens, mon chéri ; sortons à la campagne ; passons la nuit au village ; de bonne heure, aux vignes, allons voir si le cep bourgeonne, si le bouton s’ouvre, si les grenadiers fleurissent. Là, je te donnerai mes caresses » (Cant.Cant.7,12-13).

Lieu de rencontre et de reconnaissance que le bonheur et le sens de la vie humaine est dans la rencontre, dans la relation, dans le « vis à vis » avec un autre que soi-même.

Et dans le don reçu et offert. …

« Quand le temps des fruits approcha… » … la récolte promettait d’être abondante et les jouissances prometteuses ! …

Alors pourquoi ce qui avait si bien commencé, fini si mal ?

Pourquoi la vigne ne porte-t-elle pas les fruits attendus ?

Pourquoi, au lieu des « beaux raisins », il ne se trouvent sur la vigne que des « mauvais » – littéralement des raisins « pourris, puants, putrides »

Pourquoi, les vignerons à qui le maître a confié sa vigne, ne savent-ils pas faire « produire les fruits » attendus à sa vigne ? …

On pourrait peut-être objecté que, comme ils n’y sont que les ouvriers dépendant d’un maître qui en est le propriétaire, ils se révoltent pour accéder à un statut social égal, plus équitable…

On pourrait – dans une perspective de « lutte de classes », interpréter l’attitude meurtrières de ces « ouvriers-vignerons » comme juste  – ou du moins compréhensible – combat pour une meilleure répartition des « fruits de leur travail ». 

Mais, …

premièrement, ce serait là une interprétation lourdement anachronique ; l’Antiquité qui est le contexte social, religieux et historique de nos textes ne peut  pas être comparé au 19./20. siècle !

Deuxièmement, ce serait aussi « oublier » un peu vite que, le maître de la vigne n’en est pas seulement le propriétaire – mais son tout premier ouvrier !

C’est grâce à son labeur, grâce aux soins qu’il apporte personnellement à sa vigne, qu’elle portera le fruit que les « ouvriers-vignerons » n’auront qu’à récolter. Et le propriétaire ne leur réclame pas la totalité de a récolte ; juste « les fruits qui lui revenaient » (Mt21/34)….

Il paraît d’autant plus incompréhensible, voir invraisemblable qu’ils s’acharnent avec une telle violence meurtrière contre les « envoyés » du maître. …

Pourquoi tant de violence ?

Pourquoi tant de meurtres pour quelques grappes de raisins que les vignerons refusent de rendre au maître ? …

Parmi les Dix Commandements – règles essentiel et fondamentaux pour le « vivre ensemble » – figure entre autre l’interdit de la « convoitise » : « Tu ne convoiteras pas… ».

Il suffit de regarder et de lire les actualités du monde – que ce soit dans l’espace privé et familiale ou dans celui, plus vaste, des nations et des peuples – pour se rendre compte les violences meurtrières et les guerres ont souvent leurs origines dans la « convoitise » ! …

Au-delà du geste concret – vouloir ce que l’autre a au lieu de me contenter de ce que j’ai – qu’est-ce que traduit le geste, le regard qui convoite le bien d’autrui, comme « attitude », comme « esprit » intérieur ? …

L’attitude des vignerons de notre parabole, me fait penser à celle des « ouvriers de la première heure » (la parabole que nous avons lu dimanche dernier) qui murmurent contre le maître puisqu’il ne leur donne pas plus qu’aux « ouvriers de la onzième heure »

Un ami m’a raconté un jour cette histoire :

On a proposé à une personne de recevoir – au choix – une somme de 2000 € – tout comme deux autres personnes qui recevraient la même somme, ou bien de recevoir une somme de 700 € pendant que les deux autres n’en recevraient que 400 € chacun.

Quel était le choix fait par la personne du test ? …

Eh bien, elle préférait recevoir la somme de 700 € plutôt que celle des 2000 € ! C’est le fait de recevoir plus que les autres qui a été déterminant pour son choix ! …

Pour être vraiment heureux, pour me réjouir de ce qu’il m’est donné, faut-il que j’ai plus que mon voisin, mon prochain ? …

Dans notre parabole, les vignerons ont du mal à se contenter de leur « place » de vignerons. Ils veulent occuper celle du maître, du propriétaire ! C’est pour cela qu’ils vont tuer – non seulement ses serviteurs – mais même son fils : « Venez ! Tuons-le et emparons-nous de l’héritage » (Mt21/38). …

Je vois cachée derrière cette attitude la première et la plus fondamentale des tentations : celle qui consiste en la proposition faite par le serpent à Adam et Ève, de « devenir comme des Dieux ».

Celle d’être « autonome » – au sens littéral du mot : d’être sa propre loi, d’être sa propre mesure, de se suffire à soi-même, et, en conséquence, de ne « rien devoir à personne », de ne dépendre de personne. …

Or, le bonheur, la joie de vivre, ne vient elle pas plutôt de ce que je reçois d’un autre – et de ce que je peux lui offrir – gratuitement ? Sans compter ? Sans mesurer ? Sans calculer ? …

L’automne dernier, à l’occasion d’une visite chez mes parents, j’ai pu donner un coup de main – non pas aux vendanges – mais à la récolte des pommes. C’était une récolte abondante cette année-là, tellement abondante que nous ne pouvions pas tout récolter !

Le verger avait été, jadis, planté par mon grand-père.

C’est lui qui y a planté les pommiers.

C’est lui qui leur avait apporté tous les soins nécessaires pour qu’ils portent du fruit…

Avec mes parents, avec mes frères et sœur, je suis, aujourd’hui au bénéfice du travail et du labeur de notre grand-père. … Si nous pouvons, aujourd’hui récolter les « fruits » du verger c’est grâce au « don » qu’il nous en a fait, à mes parents, à  mes frères et sœurs et à moi-même. …

Nous sommes précédés d’un don. Celui de la vie. Celui aussi de la foi première de Dieu en nous. Cette confiance fidèle que Dieu pose en l’homme et qu’IL continue à poser même si l’homme ne le lui rend pas ! C’est ce que la parabole raconte à travers l’attitude du maître de la vigne qui continue à faire confiance aux vignerons, malgré leur attitude de rejet…

« Quand le temps des fruits approcha… » …  

Si Jésus raconte cette parabole des « vignerons meurtriers », ce n’est pas pour réclamer que justice soit faite : qu’ils soient punis sévèrement pour les actes qu’ils aient commis.

Le jugement, ce n’est pas lui qui le prononce, mais celles et ceux qui l’écoutent – de jadis comme d’aujourd’hui, à savoir nous aussi qui lisons ses paroles aujourd’hui ! – en première ligne desquels se trouvent « les grands prêtres et les anciens du peuple », les représentants officiels de la religion qui se posent en interprètes ultimes et incontournables des Écritures, propriétaires d’un savoir, d’une connaissance qui les placent naturellement au-dessus du peuple. Ils se sont avancés « vers Jésus », comme le précise le récit quelques versets plus hauts…

Et ils sont les premiers à s’offusquer de la nature mauvaise des vignerons : « Il fera périr misérablement ces misérables, et il donnera la vigne en fermage à d’autres vignerons » (Mt21/41). …

Jésus n’acquiesce pas à ce choix, à ce jugement. Il montre le seul chemin possible pour sortir de la logique de la récompense et de la rétribution.

Il montre la porte – qu’il est LUI-MÊME, comme l’affirme l’Évangile de Jean : « Je suis la porte : si quelqu’un entre par moi, il sera sauvé » (Jean 10,9).

Sauvé de la logique de la récompense et de la rétribution.

Sauvé de l’impasse du cercle infernal du jugement et de la violence. Jésus invite ses auditeurs – de jadis comme d’aujourd’hui : nous, toi et moi – à bâtir mon existence, bâtir le sens de ma vie sur la « pierre angulaire rejetée par les bâtisseurs » : le Christ, « Fils de Dieu » qui n’est pas venu pour être servi, mais pour servir ; qui s’est « dépouillé pour devenir semblable à nous » !

Reconnaître et me le rappeler chaque jour, que ma vie, ce que je suis et ce que je « sais faire » n’est pas ma « propriété », mon bien, mon « du », mais un « don » reçu gratuitement … comme le reconnaît l’apôtre Paul dans cette belle confession de foi : « Ce que je suis, je le dois à la grâce de Dieu et sa grâce à mon égard n’a pas été vaine » (1Cor15,10).

« Quand le temps des fruits approcha… » …  

C’est dans hic et nunc = l’ ici et le maintenant que cela décide : il s’agit de faire un choix !

Suivre ces vignerons jaloux et prendre par la violence des paroles et des actes ce qui n’est peut être qu’un don ou suivre le  Christ en accueillant ma vie comme un don, en acceptant d’être accueilli, reconnu, aimé gratuitement et de pouvoir alors aimer mon prochain tout aussi gratuitement !

Amen !

Pasteur Andréas Seyboldt