Pardon de Dieu, pardon des hommes

4e table ronde interreligieuse : « pardon de Dieu, pardon des hommes » (2008)

L’offense engendre l’amertume, le ressentiment. Du ressentiment naît le désir de laver l’affront, de se venger. C’est par ressentiment qu’Abel tua son frère Caïn, devenant ainsi le premier assassin de notre Histoire.

Pour atténuer la spirale de la violence, à défaut de la supprimer, la Torah a instauré une sorte de réglementation : la Loi du Talion, dont trop souvent on n’a retenu que la formule choc « œil pour œil, dent pour dent ». Encore aujourd’hui, beaucoup croient que c’est une Loi de violence, alors qu’elle constitue un progrès notable. Loin de toute idée de vengeance, elle a créé un système d’amendes de composition pour réparer le dommage causé : « pour un œil, tu paieras le prix d’un œil », ni plus ni moins. (Exode 21, 22-30).

La Torah interdit la rancune et la vengeance : « Tu ne haïras point ton frère en ton cœur ». Elle va plus loin en édictant « Tu aimeras ton prochain comme toi-même ». Pour se libérer du ressentiment et, par suite, du désir de vengeance, l’homme dispose d’un pouvoir : le pardon, qu’il peut demander et qu’il peut accorder.

De même que le repentir, la justice et la réparation, le pardon est l’un des concepts centraux du judaïsme. « Dieu a créé le pardon pour que Sa Création n’échoue pas », dit le Talmud. Le pardon est si important qu’il fait partie de la liturgie quotidienne et que Dieu lui a réservé un jour spécial, le Yom Kippour, appelé aussi le Jour des expiations, plus connu sous l’expression de Grand Pardon. « Il y aura pour vous convocation sainte et vous ne ferez aucun travail, car c’est un jour d’expiation, destiné à vous réhabiliter devant Dieu » ; « Et vous mortifierez vos âmes » (Lévitique, Nombres) C’est une loi perpétuelle, dit la Torah.

Le péché constituant une souillure, nous devons en être purifiés. Pour y parvenir et donc revenir vers Dieu, en ayant obtenu de Lui le pardon de ses fautes, chacun, tout au long d’un jeûne rigoureux de 25 heures, doit se repentir, en suivant les trois phases décrites par Maimonide, un grand Maître de la Synagogue du XIIe siècle : reconnaître ses transgressions, déclarer son repentir par un processus de confession collective, et faire expiation devant Dieu afin d’obtenir son pardon. Car « L’Eternel [est] tout puissant, clément, miséricordieux, tardif à la colère, plein de bienveillance et d’équité. »

Cependant, est-il est précisé, il s’agit uniquement des fautes commises devant Dieu. Concernant celles commises à l’égard de son prochain, chacun est invité à se réconcilier avec lui. Le pardon est donc une démarche exigeante, qui engage la responsabilité, nul ne pouvant se substituer à autrui. Cela ne constitue nullement la reconnaissance d’une faute personnelle à travers une faute collective ; ce n’est jamais une invitation à une culpabilisation collective. Il s’agit, à travers la démarche commune de tout le Peuple d’Israël, de manifester une solidarité réciproque sans faille, dans la faute comme dans le bien.

Si, pour le judaïsme, Kippour pardonne les fautes commises envers Dieu et non celles commises envers autrui, ces deux catégories de fautes sont pourtant indissociables car « porter atteinte à un être humain, c’est porter atteinte à l’image de Dieu que l’Homme porte en lui ».

Mais peut-on tout pardonner ? Peut-on pardonner l’irréparable ? Pour les juifs, ce sont là des questions récurrentes, qu’ils se sont posées avec encore plus d’acuité ces dernières décennies après avoir découvert les horreurs de la Shoa. S’il est admis que le passé ne peut être réparé, concernant le pardon, certaines voix estiment que c’est justement l’impardonnable qu’il faut pardonner ; d’autres, surtout les victimes rescapées, sont d’un avis contraire : il ne peut y avoir de pardon pour l’impardonnable. L’opinion générale est que nul ne peut pardonner pour le crime commis contre un autre ; seul l’offensé, la victime, le peut. « Dieu Lui-même ne peut pardonner que les fautes commises contre Lui ».

On ne peut aimer Dieu que si on aime l’homme et on ne peut aimer l’Homme sans aimer Dieu, ont dit nos Sages. C’est pourquoi, chaque jour, dans ses prières, le juif croyant doit faire repentance, demander pardon pour les fautes qu’il a pu commettre et pardonner à ceux, connus ou inconnus, qui l’ont offensé.

Yves Bourgel
Communauté juive de Colombes

 

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