Ne nous laisse pas entrer en tentation

Matthieu 6 v 13   et Jacques 1 v 12 à 15

 

Culte du le 3-12-17

 

Le Notre Père « Ne nous laisse pas entrer en tentation »

Dimanche dernier, ensemble nous cherchions à revisiter cette prière du « Notre Père » que Jésus a laissée à ses disciples et que nous trouvons à la fois dans l’Évangile de Matthieu et dans l’Évangile de Luc, dans des versions légèrement différentes.

 Une prière commune à tous les chrétiens, à pleinement habiter pour éviter, disions-nous, qu’elle ne devienne rabâchage systématique et automatique ; ce que Jésus justement condamnait lorsqu’il évoque ces prières répétées de manière mécanique.

Une prière constituée d’une invocation, de 3 demandes relatives à Dieu, puis de 4 demandes relatives à l’être humain avec un final rendant gloire à Dieu.

Nous nous étions intéressés tout particulièrement à l’invocation, à l’introduction : « Notre Père qui est aux cieux », pour faire remarquer qu’à travers ces quelques mots, nous avions un condensé de l’attitude spirituelle qui préside à toute la prière.

Une prière qui met en relation avec Dieu, appelé Père et reconnu donc comme un Dieu de bonté et de bienveillance. Une prière qui met en relation avec les autres car commençant par ce « notre ». Le « notre » de l’Église toute entière, des hommes et des femmes de ce monde.

Enfin une prière qui reconnaît Dieu comme Celui qui nous dépasse, nous surpasse ; toujours au-delà de ce nous pouvons dire de lui. Aux cieux, non pas qu’il soit derrière les nuages mais un Dieu qui reste un Dieu profondément libre et qui n’est pas à notre merci.

Enfin nous terminions en faisant remarquer que cette prière trouve son exaucement déjà par le Christ, par la venue du Christ que nous allons fêter à Noël et qu’elle nous invite du coup nous aussi à déjà la réaliser et à la rendre effective.

 

Oui, revisiter ce « Notre Père » que nous prononçons chaque dimanche pour comme annoncé, comme prévu, nous intéresser ce matin tout spécialement à cette 6éme demande : « Ne nous soumets pas à la tentation ».

 Pourquoi ? Parce qu’aujourd’hui en ce premier dimanche de l’Avent, en ce premier dimanche de l’année liturgique, une nouvelle traduction est introduite dans toutes les paroisses catholiques de France : « Ne nous laisse pas entrer en tentation ».

 Notre Église Protestante Unie de France au niveau national, a décidé lors du Synode national de 2016 de retenir, elle aussi, cette nouvelle traduction. Nous la dirons ensemble tout à l’heure. La liberté étant laissée à chaque Église locale de voir comment, quand, et par quel processus la proposer et la retenir.

 

Une 6éme demande : « Ne nous soumets pas à la tentation » qui deviendra « Ne nous laisse pas entrer en tentation ». Pourquoi un tel changement et qu’apporte-t-il ?

 

Une première remarque. IL faut savoir que Jésus a dû la prononcer en langue araméenne, langue ancienne du Proche Orient, en reprenant des éléments d’une prière juive « le kaddish » elle-même prononcée en Hébreu. Dans le nouveau testament, les versions du Notre Père nous sont transcrit en langue grec, langue utilisée par les 4 évangélistes et dans tout le pourtour méditerranéen. Du grec, nos Bibles ont traduit le Notre Père en français.

A chaque fois, une traduction, une tentative de transcrire le sens dans une langue autre étrangère : hébreux, araméen, grec, français. Avec à chaque passage, le risque que la traduction devienne trahison, transformation.

Une vraie difficulté qui nous incite à une vraie humilité, d’autant que nous sommes sur des questions elles-mêmes difficiles à aborder, à traiter. La réalité du mal, la réalité de la tentation, du Tentateur, le rapport entre Dieu qui est prié, invoqué et cette réalité du mal. Quel lien entre les deux ? Dieu et le mal ? Et si Dieu est Dieu, pourquoi laisse-t-il le mal ? Pourquoi le mal ? le mystère du mal ? Autant de questions abyssales, qui ouvrent à bien des interrogations et des réflexions. Des questions qui restent ouvertes et qui ont traversé et traversent l’histoire de la pensée humaine de tous les temps qu’elle soit théologique et philosophique.

 

 

Des questions qui ne sont pas d’ordre théorique, abstrait ou intellectuel pour celles et ceux qui aiment se creuser les méninges. Non, mais des questions, des situations qui traversent nos existences de manière concrète. Un jour où l’autre, nous sommes tous confrontés au mal, au malheur. Comment alors comprendre ce qui nous arrive ? Et y-a-t-il d’ailleurs à comprendre ? ET surtout comment réagir ? Où trouver des forces pour rebondir ?

Des hommes et des femmes de la Bible ont vécu ces mêmes expériences.

Abram mis à l’épreuve par le sacrifice de son fils Isaac, qui lui est demandé.

Jérémie, incompris, rejeté, dénigré alors qu’il cherche à faire connaître la Parole de Dieu.

Job, homme juste, éprouvé dans sa foi qui du jour au lendemain se voit privé de tout, de ses biens, de sa santé, de ses forces.

Paul qui constate qu’il y a une puissance plus forte que sa seule volonté : « Je fais ce que je ne veux pas et je ne fais pas le bien que je veux » dira-t-il.

Faut-il dans cette liste qui pourrait se prolonger mettre Jésus lui-même, tenté au désert, éprouvé sur la croix, criant à son Père : » Pourquoi ? Pourquoi m’as-tu abandonné ? » Un pourquoi qui fait écho à tous nos pourquoi, sans réponse ?

Et il ne faut pas attendre de la 6éme demande du Notre Père un long exposé, savant, dense et construit sur le pourquoi de la tentation, l’origine du mal et la place de Dieu dans tout cela.  Nous sommes dans une prière, une relation vivante, confiante du croyant avec son Dieu, avec toutes les parts d’ombres, de lumières, de mystères qui habitent une vie. Donc n’attendons pas du Notre Père ce qu’il ne nous donne pas, ce qu’il ne dit pas.

 

Cependant l’actuel traduction « Ne nous soumets pas à la tentation », choix fait en 1966, dans une version œcuménique retenue par tous les chrétiens, pouvait laisser planer une ambiguïté.

 Dieu serait-il un Dieu pervers qui déciderait ou non de nous envoyer des tentations, de nous soumettre à la tentation ? Il serait alors un Dieu distributeur de tentations qui pour s’amuser nous ferait connaître lui-même la tentation. C’est pour ôter ce doute, cette erreur d’interprétation qu’une autre traduction a été recherchée et proposée.

Certes nous pouvions comprendre « Ne nous soumets pas à la tentation » d’une autre manière ; à savoir que nous demandions de ne pas être soumis à la tentation, de ne pas être mis sous la tentation, en quelque sorte de ne pas plier, ni succomber à la tentation. Mais l’ambiguïté était trop forte.  Dieu soumettant à la tentation !! Tentateur lui-même !

 D’autant que l’Épître de Jacques est claire en la matière : » Que personne, lorsqu’il est tenté, ne dise : C’est Dieu qui me tente. Car Dieu ne peut être tenté par le mal et ne tente lui-même personne. » La tentation ne peut venir de Dieu ; elle vient du mal, du malin.

D’où la proposition de remplacer » Ne nous soumets pas à la tentation « par »ne nous laisse pas entrer en tentation. Le verbe grec « eisphero » pourrait être traduit par induire, conduire, importer, porter. Un verbe qui laisse l’idée d’un mouvement, d’un déplacement, qui fait place ainsi à cette attirance de l’être humain pour ce qui va le dominer, le détourner de son chemin habituel.

C’est bien ce que le même passage de l’Épître de Jacques laisse entendre : « Dieu ne tente lui-même personnes mais un homme est tenté quand il est attiré et pris au piège par son propre mauvais désir » 
C’est lors de ce basculement, de ce déplacement qui fait tomber l’être humain, que nous demandons à Dieu sa force, sa présence et suffisamment de forces, pour tenir bon, pour faire face, pour ne pas être abattu, ni écrasé.

« Ne nous laisse pas entrer en tentation » Nous ne demandons pas à Dieu de nous épargner des épreuves, ni la réalité de la tentation car elles font partie de la condition humaine. Celle-ci comporte cette confrontation au mal et malheur. C’est le sort de tout être humain. Jésus lui-même a connu la tentation. Il est passé par cette confrontation. Il a connu en ce sens la condition de notre humanité.

 

Non, en priant cette 6éme demande, nous demandons à Dieu de ne pas vivre, ce mouvement de bascule, cette entrée qui nous ferait passer d’une situation où nous faisons face à la tentation, à une situation où nous entrons dans la tentation pour y succomber.

Que dans ces moments-là, il nous tienne, nous retienne. Qu’il nous habite par son esprit, par sa force pour nous rendre forts, résistants, pour tout en connaissant la tentation, ne pas y plier.

Jésus a mené ce combat au désert face à ces tentations qui voulaient le détourner de son statut de fils de Dieu, le détourner de Dieu son Père. Il tient bon. Il résiste. Il fait face. Il n’entre pas dans la tentation et son jeu subtile de séduction. Avec nous, il combat, il lutte, il résiste, il nous fait tenir debout.

Une tentation qui n’est pas à réduire aux tentations morales et alimentaires que nous pourrions connaître. IL s’agit bien de « La tentation » et non des petites tentations du quotidien.

La tentation de se perdre loin de Dieu, d’être coupé de la source de vie et d’amour qu’est Dieu, de sombrer dans la désespérance et le non-sens, d’être écrasé par d’autres puissances que celle de la vie.

 

La suite de la 6éme demande est dans ce sens très significative. Il y a un lien entre les deux.

« Ne nous laisse pas entrer en tentation mais délivre-nous du mal ». Ne pas entrer en tentation, c’est à dire ne pas être livré au mal et le mot traduit par mal évoque cette puissance de mort opposée à Dieu, opposée à la vie, à la vie de Dieu, une puissance de mort que certains, traduisent par le Malin, le Diviseur.

En priant cette demande « ne nous laisse pas entrer en tentation mais délivre nous du mal » nous prenons conscience de ce qui est pour nous tentation, de nos faiblesses et de nos fragilités. C’est notre condition humaine et en même temps nous plaçons notre confiance en Dieu dans son aide, dans son soutien, dans sa grâce.
Lui qui a été au désert, nous assure de sa présence, face à la tentation. Lui qui a été confronté à la croix, au mal radical, en a triomphé au jour de la résurrection.

Face aux épreuves comme face aux tentations, il nous promet sa force pour tenir bon et pour

 

Pasteur Denis Heller