Marthe et Marie: de l’amertume à la joie (dimanche 21 décembre 2014)

Texte biblique : Luc 10, 38-42 Marthe_Marie_Bethanie

Marthe et Marie sont deux soeurs.

Selon Jean, elles habitent Béthanie, à quelques kilomètres de Jérusalem, sur la pente orientale du mont des oliviers, qui descend doucement vers la plaine de Jéricho jusqu’au Jourdain.

En route vers Jérusalem, accompagné de ses disciples, Jésus s’est invité seul chez elles.

Il est accueilli par Marthe, qui fait office de maîtresse de maison.

Selon les belles lois de l’hospitalité orientale, Marthe prend soin de Jésus, le désaltère, lui donne à manger, lui apporte probablement de quoi se laver des pieds échauffés par la chaleur et la poussière.

Pendant ce temps, Marie se tient aux côté de Jésus, à jouir de sa présence, sans rien faire.

Exaspérée, Marthe prend Jésus à témoin : « Cela ne te fait rien que je m’affaire pendant que ma soeur reste inactive ? »

Et de façon surprenante, Jésus semble donner raison à Marie : « Marthe, pourquoi t’agis-tu ainsi ? Marie a choisi la bonne part, qui ne lui sera pas retirée« .

Soyons honnêtes : la réaction de Jésus parait injuste et ne peut que renforcer l’agacement de Marthe. Comment expliquer son attitude ?

Voici comment elle a souvent été comprise : il y aurait d’un côté l’action, le travail, les tâches pratiques, nécessaires mais secondes et, de l’autre, les choses nobles de l’esprit et de la foi.

Ainsi, en donnant raison à Marie de Béthanie, Jésus affirmerait la primauté de ceux qui méditent sur ceux qui s’affairent.

Franchement, lorsqu’il s’agit de ménage ou de bricolage, pareille lecture me conviendrait assez bien !

Malheureusement, pour moi, elle est totalement fausse.

Jésus n’a jamais déconsidéré le travail et encore moins l’attention à autrui.

Avant de venir chez Marthe et Marie, il vient de raconter une parabole que nous connaissons bien : celle du « Bon Samaritain ». Or, dans cette parabole, il donne en exemple celui qui agit, le Samaritain, et donne tort aux religieux qui passent sans rien faire.

Plus généralement, Jésus n’établit pas de hiérarchie entre les actifs et les contemplatifs.

Il sait qu’il existe des personnalités qui ont besoin d’agir et d’autres de se retrouver dans l’écoute, la pensée, la rêverie.

Hyba et Zyna ont aussi leur personnalité propre.

Et votre belle responsabilité de parents consistera à les aider à mieux se connaître pour qu’elles puissent s’orienter vers une vie qui les rendront heureuses et utiles.

L’une aura peut-être besoin d’être très investie dans son travail, sa famille, l’Eglise; l’autre aura peut-être besoin de plus de temps de ressourcement, de prise de recul.

Et pas plus que Jésus ne le fait, je sais que vous ne portez pas de jugement sur l’une ou l’autre de ces inclinaisons.

Ainsi Jésus ne reproche pas à Marthe d’être active.

D’ailleurs, il ne lui fait aucun reproche.

Il la met en garde.

Doublement.

D’abord, Jésus met en garde Marthe contre une forme de suractivité.

Selon la traduction française, « Marthe s’affaire ».

L’expression employée par Luc est beaucoup plus forte : Marthe est « tiraillée de toute part ».

Elle s’agite tellement qu’elle a perdu son unité profonde.

Du coup, elle est indisponible : indisponible à elle-même et à ses aspirations profondes, indisponible à Jésus.

C’est ce que Jésus pointe : l’agitation ou la sur-activité qui la disperse, qui nous disperse.

Combien de chrétiens sont tellement mobilisés par leur travail, leur vie familiale, les contraintes matérielles, voire une démultiplication folle d’activités qu’ils n’ont plus le temps de la rencontre : avec leurs proches, avec Dieu, avec leur être profond.

Le risque est plus grand encore lorsque certaines de ces activités ont à voir avec l’Eglise car nous pouvons alors croire qu’elles nous tiennent lieu de vie spirituelle.

Le Centre 72, notre maison, avec ses multiples associations, fêtes, activités, commissions et groupes divers, est d’une richesse fantastique. Mais, par son dynamisme même, il est particulièrement propice au risque d’un activisme qui se vit aux dépens de l’intériorité, de la disponibilité, de la spiritualité.

Comme l’écrit Bernard de Clairvaux : « Que chacun d’entre vous s’efforce d’abord de n’être pas en dissidence avec lui-même ».

Nous serions donc bien avisés de remettre au coeur de notre vie communautaire l’attente, l’écoute, la disponibilité spirituelle.

Et vous, parents, incitez Hyba et Zyna à travailler, à s’investir joyeusement dans des activités diverses mais apprenez-leur aussi à laisser une place à Celui qui est la source de toute chose, à se poser en sa présence.

Car, ce qui en jeu n’est pas simplement la dispersion ou l’épuisement, c’est aussi, c’est d’abord la joie.

Cette joie, Marthe l’a perdue.

Marthe en veut à Jésus et, par ricochet, à sa soeur : « Cela ne te fait rien que ma soeur ne fasse rien pour m’aider ? « 

Ainsi, Jésus ne fait aucun reproche à Marthe.

Il ne veut pas davantage qu’elle devienne comme Marie.

Il veut seulement l’alerter sur un fonctionnement qui a écarté d’elle la joie pour la remplacer par le ressentiment, l’anxiété, le sentiment qu’elle en fait toujours plus que les autres.

L’arbre se juge à ses fruits.

Pour Marthe, les fruits sont amers.

Seconde mise en garde : Marthe en oublie l’urgence de la rencontre avec le Christ.

Dans le monde antique, deux mots grecs parlent du temps.

Il y a « chronos », qui a donné le « chronomètre ». « Chronos », c’est la quantité de temps qui s’écoule : une minute, une heure, une année.

Et il y a « kairos », le moment, l’événement.

Durant une vie humaine, il y a une quantité prévisible de « chronos » disponible : sauf accident, une vie dure à peu près 80 ans.

Par contre, nul ne sait quand surviendront ces « kairos », ces moments où des occasions se présenteront, où des choix seront à faire qui décideront d’une existence.

Par exemple, je ne vais pas passer ma vie à faire des déclarations d’amour mais il y a quelques moments dans une existence, parfois un seul, au cours desquels ce que je vais dire à l’être aimé fera basculer ma vie.

C’est ce que Marthe ne perçoit pas.

Avec Jésus, une rencontre est possible.

L’instant est à saisir.

Dans quelques heures, il sera en route vers Jérusalem.

C’est maintenant qu’il faut lui être disponible.

C’est ce que Marie a su faire.

C’est ce que Marthe n’a pas pu vivre.

Aujourd’hui encore, l’agitation et la dispersion brouillent notre capacité à repérer les moments décisifs de notre vie, là où il nous faut être totalement disponibles parce que l’essentiel est en jeu.

Chers amis, il ne nous reste que quelques jours avant Noël.

Paradoxalement, cette fête de la foi est le prétexte à un surcroît d’agitation fébrile.

Saisissons au contraire cette occasion pour retrouver la disponibilité et, surtout, la joie

Amen !