Les béatitudes : une morale pour faibles ?

Textes bibliques : Matthieu 5,1-12

« Bienheureux ceux qui ont faim et soif car ils seront rassasiés ».

« Bienheureux ceux qui ont faim et soif de la justice de Dieu car ils seront rassasiés »

Alourdies par 2000 ans d’interprétation, ces paroles de Jésus peuvent nous sembler suspectes voire malsaines.

Surtout en ce jour d’Assemblée Générale de l’Entraide.

Trois grands reproches lui ont été adressés, trois reproches à prendre au sérieux. .

Reproche social.

Marx a accusé le christianisme de tourner les regards vers le ciel pour mieux oublier la terre, de promettre une récompense pour plus tard et là-haut, au lieu de prendre en charge la souffrance, ici et maintenant.

Il est vrai que les Béatitudes ont parfois été comprises ainsi : dans la vie, certains sont épargnés par les drames et d’autres pas ; l’injustice règne, qu’elle soit individuelle ou collective. Plus tard, Dieu rétablira la balance.

Ceux qui auront été comblés par la vie seront malheureux et inversement.

La morale de l’histoire serait donc simple : supportez vos malheurs, supportez les injustices sans broncher et, plus tard, Dieu déplacera le curseur dans l’autre sens.

Deuxième accusation : celle de Nietzsche.

Jésus valorise les larmes et la faiblesse au lieu d’encourager à la force et au dépassement de soi.

« Je traverse une situation difficile. Au lieu de puiser en moi le courage de m’en sortir, je préfère me glorifier de mes épreuves et culpabiliser ceux qui s’en sortent mieux que moi ».

Enfin, troisième accusation, plus récente.

Il est bon d’être épanoui. C’est même probablement le principal dogme actuel.

« Soyez épanouis ! » « Faites envie ! »

Or, les Béatitudes semblent nous conduire sur la voie opposée, celle de la souffrance et des larmes, celle du refus du bonheur et du plaisir.

Comment recevoir alors les Béatitudes, notamment en ce jour où nous réfléchissons sur l’entraide ?

Pour y répondre, il nous faut préciser la situation de ceux qui sont qualifiés de « bienheureux ».

Dans les béatitudes transmises par Matthieu, Jésus décrit moins un état qu’une disposition intérieure : il n’évoque pas les pauvres mais les pauvres en esprit, il n’encourage pas ceux qui ont soif et faim mais ceux qui ont soif et faim de vivre comme Dieu le demande. Il déclare bienheureux ceux qui ont fait un choix de vie et non ceux qui subissent une situation malheureuse.

« Bienheureux êtes-vous » parce que vous vivez quelque chose d’essentiel ».

Là encore, le Christ n’invite pas au dolorisme.

Là encore, il ne rejette pas la joie de vivre, le désir de profiter de l’existence.

Mais Jésus sait que quiconque aime prend le risque de la souffrance.

Plusieurs religions ont fait le même constat : aimer, désirer espérer génère parfois de la souffrance.

Mais si certaines, comme le Bouddhisme, prônent l’extinction du désir, le Christ, au contraire, encourage à une vie ouverte, risquée, aimante, au risque, effectivement, de l’échec et des larmes.

Alors, vous qui pleurez, bienheureux êtes-vous car vous aimez, vous vous laissez aimer, vous espérez.

Vous qui vous tourmentez pour des enjeux sociaux ou qui travaillez à faire reculer la violence et la souffrance, vous qui accompagnez ceux qui recherchent un emploi, vous qui alphabétisez, bienheureux êtes-vous car vous serez peut-être déçus, peut-être persécutés, mais votre vie aura du poids, du sens.

De plus, en vivant selon les Béatitudes, vous vous rapprocherez de Jésus-Christ.

Jésus dit ainsi en substance : « Si vous me suivez sur les chemins de la paix, de la justice, de la pauvreté, bienheureux êtes-vous car vous allez rencontrer Dieu ».

La vraie joie consiste à rencontrer Dieu, à se sentir entouré, guidé, aimé par Lui, mais la manière dont nous vivons en dépend.

Comment trouver un Dieu d’amour en vivant les rivalités ou les rancœurs ?

Comment croire au crucifié si nous choisissons la voix de la puissance ?

C’est pourquoi Jésus nous dit : « Heureux-vous si vous êtes humbles et doux car ainsi, vous rencontrerez Dieu ».

En orientant notre vie vers la douceur, la réconciliation, en devenant artisan de paix, nous fréquentons le chemin de l’Evangile et nous nous rapprochons ainsi du Christ.

Jésus ne menace pas ceux qui suivront un autre chemin. Il leur dit simplement qu’ils passeront à côté d’une grande joie, bien plus riche et profonde que celui que nous propose la société médiatique.

Il reste un problème, l’autre série de béatitudes, celles de Luc.

Là, en effet, Jésus proclame heureux ceux qui ont faim, ceux qui soif, ceux qui pleurent. Il déclare heureux ceux qui subissent une situation qu’ils n’ont pas choisie.

Comment comprendre cet enseignement ?

Une parole de la Bible s’interprète en fonction des autres paroles de la Bible.

La Bible éclaire la Bible.

Les paroles de Jésus sont donc incompréhensibles si nous ne prenons pas en compte l’ensemble de la vie de Jésus, son enseignement, sa façon d’approcher les autres, ses guérisons, sa mort et sa résurrection, si nous ne percevons pas quelle est la dynamique de l’Evangile : Dieu nous a créés pour notre bien, Dieu nous veut du bien.

Et parce que les hommes souffrent et se font souffrir, Jésus vient à leur secours.

Il attaque les racines même de la souffrance, en pardonnant, réconciliant.

Parfois, il guérit.

Toujours, il soulage la souffrance par sa présence.

Ainsi, ces béatitudes n’invitent ni à la soumission ni à un refus doloriste du bonheur : elles annoncent une bonne nouvelle. Jésus vient consoler, rassasier, guérir.

« Bienheureux ceux qui pleurent car ils seront consolés ».

« Bienheureux, vous qui n’avez pas de papier, pas de travail, pas de logement, parce que vous n’êtes pas seuls pour affronter cette situation. Je me tiens près de vous ».

Loin de nous déresponsabiliser, cette bonne nouvelle fonde notre vocation.

Participer à la vie de l’Entraide de Bois-Colombes, comme membre du Conseil, responsable de la braderie ou visiteur, c’est marcher à la suite du Christ, pour accompagner, soulager, soigner.

« Bienheureux » peut aussi se traduire par « débout », « en marche » !

Amen !