Le partage , la confiance et la reconnaissance : trois sources de miracles (8 janvier 2017)

Dimanche 8 janvier 2017

Texte biblique : Marc 6, 30-44 (II Rois 4,42-44)

La multiplication des pains est le miracle qui a laissé le plus grand souvenir dans la mémoire des disciples puis des évangélistes. En effet, elle nous est racontée à six reprises par les quatre évangélistes.

Ce récit est d’autant plus important qu’il fait référence à plusieurs temps forts de l’histoire d’Israël.

Souvenez-vous de la Manne dans le désert, lorsque le peuple se rebelle contre Moïse, regrette la captivité en Egypte et reçoit de Dieu cette nourriture inconnue. D’ailleurs, en hébreu, « Manne » vient de la question « Qu’est-ce que c’est ? »

Souvenez-vous d’Elie, réfugié chez une veuve, en terre étrangère, à Sarepta, et qui renouvelle inlassablement l’huile et la farine.

Souvenez-vous d’Elisée, successeur d’Elie, qui multiplie l’orge et le blé nouveau et nourrit ainsi plus de cent personnes.

Ce récit de multiplication des pains renvoie également à la cène, au dernier repas de Jésus avec ses disciples. « Il prit le pain, le rompit, le donna ».

Lorsqu’un récit est si souvent répété dans les évangiles, lorsqu’il est relié à tant d’autres passages importants de la Bible, c’est que sa signification déborde largement celle du miracle « brut ».

Jésus vient d’envoyer les disciples en mission.

De retour, les disciples le retrouvent, pour échanger leurs expériences.

Jésus leur propose donc un lieu calme, reculé, loin de la foule et de ses demandes, un lieu pour partager, se recentrer, redevenir disponibles à soi, aux autres et, bien sûr, à Dieu.

Après l’agitation de la mission, des rencontres, du travail, voici venu le temps du ressourcement.

Les disciples ont besoin de recul.

Ils ont besoin d‘un temps de côté, d’un lieu à l’écart.

Il en est de même pour nous.

Certains d’entre nous ont eu la chance de prendre quelques jours de repos.

Ils ont ainsi pu laisser reposer l’agitation, favoriser une décantation intérieure, retrouver l’essentiel, comme un marcheur perdu dans la forêt qui retrouve enfin sa direction.

Maintenant que la vie professionnelle et scolaire a repris, il s’agit de prévoir, d’ores et déjà, d’autres temps de ressourcement.

Je le sais bien, ce sera plus difficile car durant les prochaines semaines, la plupart d’entre nous n’auront pas le loisir de partir plusieurs jours.

Mais, même en ce cas, même lorsque nos agendas seront remplis, il nous sera possible de mettre un court moment de côté, chaque jour, pour nous extraire de l’agitation et des soucis.

Même si notre vie est pleine. Surtout si notre vie est pleine.

S’offrir ce temps, seul, en famille, au culte, s’offrir même si besoin est, plusieurs jours dans une communauté religieuse, ce n’est pas fuir. C’est au contraire cesser de fuir, cesser de se fuir, c’est se donner les moyens d’agir en cohérence avec ce qu’on désire, ce qui nous importe réellement, ce que nous croyons.

Régulièrement, Jésus propose et vit ces temps de ressourcement.

Pour autant, il ne les transforme pas en nouvelles obligations religieuses, en nouveaux rites, définis à l’avance, indépendamment des circonstances.

Jésus choisit d’agir ou de se recueillir suivant les contraintes, les besoins et ce qu’il ressent.

Parce qu’il est à l’écoute de Dieu, il est aussi à l’écoute de ceux ont besoin de lui.

Il sait, il sent quand il faut agir et quand il peut se mettre à l’écart.

Ici, Jésus avait probablement prévu un long moment de ressourcement avec ses disciples.

C’est pourquoi ils avaient voyagé en barque dans un endroit désert.

Peine perdue : les gens arrivent par centaines.

De toutes les villes, écrit Marc, on accourut à pied et on les devança.

Jésus est ému par cette foule désemparée.

Et il choisit de s’en occuper.

Avec Jésus, l’action n’est jamais un prétexte pour se fuir.

De même, ce n’est pas parce qu’il prend soin de son être intérieur qu’il oublie ceux qui ont besoin de lui.

Lorsque les circonstances le permettront, il quittera l’agitation et montera dans une barque pour s’isoler.

En attendant, Jésus enseigne.

Longuement.

Les heures passent, l’obscurité descend.

Les disciples attirent l’attention de Jésus sur l’heure tardive : L’endroit est désert et il est déjà tard. Renvoie-les : qu’ils aillent dans les hameaux et les villages des environs s’acheter de quoi manger.

Donnez-leur vous-mêmes à manger ! répond Jésus.

Les disciples ressentent la réponse comme ironique.

C’est pourquoi ils répondent sur le même mode : Faut-il acheter pour deux cents pièces d’argent de pain et leur donner à manger ? 

Comme si les disciples disposaient d’une pareille somme !

Pourtant, la parole de Jésus n’est pas ironique, elle est une invitation au partage : combien avez-vous de pain ? Je ne vous demande pas l’impossible mais de partager ce que vous avez !

Cette parole de Jésus s‘adresse à notre actualité et à l’incapacité de notre société à résorber la faim dans le monde alors que nous ne savons que faire de nos excédents.

Les experts nous disent qu‘on ne peut faire autrement et qu’une aide alimentaire massive détruirait les agricultures locales.

A leur niveau, ils ont probablement raison.

Mais si c’est le cas, il faut changer de niveau et être davantage créatifs.

De même, nous entrons dans une année 2017 que tous les économistes nous annoncent comme difficile.

Là encore, au-delà des politiques micro et macroéconomiques à mener, se pose la question du partage. Et cette question n’est pas simplement posée à nos gouvernants. Elle est également posée à notre Eglise, à nos familles.

Chers amis.

Je ne sais pas ce que Jésus dirait aux économistes et aux responsables politiques actuels.

Par contre, je crois savoir ce qu’il me dit : donne-leur toi-même à manger. Si tu ne peux pas résoudre à toi tout seul la faim dans le monde, partage au moins ce que tu as.

Partage tes ressources avec ceux qui en ont moins. Mais partage aussi tes connaissances avec celui qui en est dépourvu, partage tes relations avec celui qui est isolé, partage ton espérance avec celui qui désespère, partage ta foi avec celui qui n’attend rien de moi, ton Dieu.

Vous le voyez, la multiplication des pains n’est pas un miracle de foire ; elle est avant tout le miracle du partage.

Elle est aussi le miracle de la confiance.

Lorsque la foule aperçoit Jésus, il l’assimile à un troupeau de brebis sans berger.

Jésus fait ici référence au prophète Ezéchiel.

Plusieurs siècles auparavant, Ezéchiel qualifiait ainsi le peuple juif de son temps.

Alors Jésus décide d’enseigner la foule.

Mais Jésus sait qu’un enseignement est d’autant mieux intériorisé qu’il est mis en pratique.

Alors, Jésus fait vivre à la foule l’expérience de la confiance.

Il demande à ces personnes de s’asseoir par terre, par rangée de cinquante, sans se lever pour rechercher de la nourriture.

Comme avec la manne dans le désert.

Accepter d’entrer dans une démarche de confiance, ouvrir les mains et recevoir la nourriture que Dieu donne.

Il fallait cette confiance pour que le miracle ait lieu.

De même, plus nous entrerons dans une démarche de confiance envers Dieu et plus nous recevrons de lui cette nourriture dont nous avons besoin : la paix intérieure, le courage de vivre, la capacité à résoudre des problèmes, y compris matériels.

Partage. Confiance. Et reconnaissance.

Jésus prend le pain, le bénit, prononce une parole de reconnaissance, le rompt, le donne.

Le pain se multiplie parce qu’il est partagé dans la reconnaissance.

D’ailleurs, en hébreu, bénir et multiplier ont la même racine.

Le premier mouvement de la foi est la reconnaissance pour le moindre bienfait, pour la moindre rencontre, pour cette vie qui nous a été donnée.

Peut-être est-cela le secret de ce texte : remercier Dieu pour tout ce que nous recevons.

Car, ainsi, nous multiplions notre pain, nous multiplions ce que nous pouvons apporter à ceux qui nous entourent.

Nous multiplions l’énergie et la joie, nous multiplions la foi et le courage, nous multiplions l’esprit de révolte et la résilience.

Les disciples ont été décontenancés lorsque Jésus leur a demandé de nourrir la foule immense qui les entourait, avec seulement cinq pains et deux poissons.

La solution a suivi : prendre, bénir, partager le peu qu’ils avaient.

Confrontés à toutes les faims de notre monde et conscients de la faiblesse de nos ressources, un même appel nous est adressé.

Nous y répondrons si nous sommes capables de partage, de confiance, et de reconnaissance.

Le partage sans confiance et reconnaissance n’est qu’une contrainte morale ou un légalisme.

La confiance et la reconnaissance sans partage ne sont qu’une hypocrisie religieuse de plus. Par contre, lorsque la confiance et la reconnaissance se joignent au partage de ce dont nous sommes riches, tous les miracles sont possibles ! Amen !