Le chef, c’est celui qui sert ! (5 mars 2017)

Prédication AG Entraide, 5 mars 2017

Texte biblique : Jean 13, 1-20

 

Imaginez : nous sommes en juin prochain et vous avez un invité prestigieux : le nouveau président de la République !

La table est dressée, les convives sont réunis autour de la table, chacun fait honneur à l’hôte de marque.

Tout à coup, en plein milieu du repas, le nouveau président se lève, va dans votre cuisine, prépare la suite du repas et vous l’apporte, non sans avoir noué autour de la taille votre tablier de cuisine.

Vous seriez sûrement aussi ébahis que Pierre lorsqu’il voit Jésus s’approcher de lui et lui laver les pieds.

Lui, le « Maître des maîtres », faire un acte d’esclave !

Pierre ne comprend pas pourquoi Jésus fait cela.

Il le comprend d’autant moins qu’il est convaincu que Jésus est bien le Messie, le Christ, le Seigneur. Mais pour lui, comme pour nous, le Seigneur et le Maître, c’est celui qui se fait servir et non celui qui sert.

C’est justement pourquoi Jésus lui lave les pieds.

Par ce geste si inattendu, il veut permettre à Pierre de relier deux affirmations apparemment contradictoires : Jésus est le Maître et il est serviteur.

Ces deux affirmations sont non seulement toutes deux vraies mais elles sont indissociables : c’est parce qu’il est le Christ qu’il est serviteur, et c’est parce qu’il se fait serviteur qu’il est Christ.

Cet acte revêt une signification si importante que Jésus avertit Pierre : s’il n’accepte pas de se faire laver les pieds, il n’aura pas part au Royaume ; car ce qui se joue ici touche à l’essentiel.

Aujourd’hui encore, si je n’accepte pas ce paradoxe, je passe à côté de l’Evangile.

Je ne peux comprendre en quoi le Christ est différent d’un roi comme David ou d’un prophète comme Mahomet.

Ma foi en Christ se résumera alors à des soit-disant « valeurs morales », à une sagesse de vie ou à une forme dépassée de développement personnel.

Il est vrai que ce message paradoxal est infiniment difficile à intégrer pour Pierre, comme pour nous.

Car rien n’est plus contre-intuitif !

Imaginez-vous un président de la République venir chez vous servir le repas ?

Et pourtant, ce paradoxe est au coeur de l’Evangile.

Le Christ, le Sauveur, le Seigneur des seigneurs se fait, en même temps, le serviteur de tous. Et il le manifeste symboliquement en lavant les pieds de ses disciples.

Le lendemain, le vendredi de Pâques, il vivra ce paradoxe dans sa chair en se laissant arrêter, juger, condamner, crucifier.

Il acceptera de servir jusqu’au supplice de la croix.

Un survivant des camps nazis d’extermination raconte qu’un jour, un homme s’approche de lui, désigne du doigt des personnes pendues à une potence et lui dit : « Où est ton Dieu dans tout cela ? »

Et l’homme répond : « Il est là, souffrant, avec eux ».

Oui, comme nous l’affirmons lorsque nous proclamons le symbole des apôtres : Christ est descendu aux enfers.

Derrière cet abaissement, nul amour de la souffrance, nul rejet de la vie et des joies qu’elle offre.

Jésus ne souffre parce que ce serait mal d’être heureux mais pour que nous comprenions jusqu’à va son amour pour nous.

Depuis mercredi nous sommes entrés dans la période liturgique du carême, à 40 jours de Pâques.

Pâques, c’est bien sûr la victoire de la vie sur la mort. Mais n’oublions pas ce qui précède cet événement : l’entrée de Jésus à Jérusalem, son procès, sa mort sur la croix.

Pâques, c’est aussi le Christ qui se fait plus bas que toi pour te servir, pour t’assister, pour te sauver.

C’est tout cela que le lavement des pieds annonce.

Vous comprenez mieux, maintenant, les réticences de Pierre.

Dans un premier temps, il doit surmonter son sentiment de surprise et comprendre pourquoi Jésus agit ainsi.

Et une fois qu’il a compris, il doit accepter le lavement des pieds et ce que cet acte signifie.

Or, il aime Jésus et il se refuse à admettre sa mort.

Mais surtout, il redoute les conséquences de acte pour sa propre vie.

« Comprenez-vous ce que je vous ai fait ? Vous m’appelez « Seigneur et Maître » et vous avez raison car je le suis. Si donc moi, Seigneur et Maître, je vous ai lavé les pieds, vous devez aussi vous laver les pieds les uns les autres ; C’est un exemple que je vous ai donné. Ce que j’ai fait pour vous, faites-le, vous aussi. »

Pierre comprend que l’acte de Jésus n’est pas un simple exemple paradoxal et sublime.

C’est un exemple à suivre.

Pierre va devoir, à son tour, devenir à son tour serviteur.

Avant que s’ouvre l’Assemblée Générale de l’Entraide, voici la perspective que ce texte met devant nous : suivre le Christ en devenant serviteurs, s’abaisser pour servir, mobiliser ses compétences, son discernement, son énergie pour aider, relever, supporter.

S’il est heureusement possible de servir ainsi sans être chrétiens, il me semble impossible d’être chrétiens sans, au moins, chercher à le faire.

C’est pourquoi je rêve d’une Entraide qui déborde l’Église mais la contient toute entière.

Je rêve d’une Entraide qui est l’aiguillon de l’Eglise et lui dit à l’oreille : « Vis-tu ce que tu crois ? »

Je rêve aussi d’une Entraide qui se laisse interpeller par la parole du Christ et notamment par l’avertissement qu’il lance aux disciples : « le serviteur n’est pas plus grand que son Maître ni le disciple plus grand que celui qui l’a envoyé ».

Autant le lavement des pieds était un acte paradoxal, autant Jésus semble ici enfoncer des portes ouvertes.

Il paraît évident que le serviteur n’est pas plus grand que son maître !

Pourtant, par ces mots, Jésus entend nous prémunir de trois risques

Le premier est celui l’orgueil du serviteur qui se regarde et s’admire en train de venir en aide à celui qui en a besoin, et qui, comme un chat, se frotte aux pauvres pour mieux ronronner de plaisir.

Deuxième risque : le sentiment de supériorité de l’aidant qui le fait sentir à celui qu’il aide.

Il faut beaucoup d’amour pour se faire pardonner d’être celui qui donne.

Il faut beaucoup de simplicité pour savoir que nous avons tout autant besoin de l’autre qu’il a besoin de nous.

Il faut beaucoup de lucidité pour donner sans rendre l’autre dépendant.

Enfin, en affirmant que « le serviteur n’est pas plus grand que son maître », Jésus nous prémunit du risque de devenir une « élite servante » qui n’aurait plus besoin de Lui, qui pourrait s’affranchir de la foi en Christ et qui ne compterait plus que sur son organisation, ses moyens humains et financiers.

Chers amis.

En lavant les pieds des disciples et en joignant un enseignement à son geste, Jésus nous rappelle le coeur de l’Evangile : Jésus est le maître en ce qu’il se fait serviteur.

Il nous rappelle ainsi le coeur de la vie chrétienne : servir, sans orgueil, sans fausse humilité, en puisant notre façon d’être dans celle du Christ.