L’appel de Samuel

Prédication du 17 janvier 2021
à Bois-Colombes

  • 1 Samuel 3,1-19
    Qu’êtes-vous venu faire ce matin dans ce temple ? Qu’êtes-vous venus y
    chercher ? J’imagine, du moins j’espère, que vous me répondrez que vous êtes venus vous placer à l’écoute de la Bible.
    Et bien ce matin, un texte est proposé à notre méditation. Un texte de l’Ancien Testament où justement un jeune garçon, Samuel, un enfant destiné à la prêtrise, découvre une nouvelle attitude : se mettre à l’écoute de la Parole de Dieu.
    Un texte pour ce matin qui ne manque pas d’humour. Car oui, Dieu a de
    l’humour. Nous y lisons l’histoire de prêtres incapables de discerner la présence de Dieu dans leur vie, l’histoire d’hommes de Dieu qui balbutient, qui hésitent, qui sont loin d’être parfaits devant leur Seigneur. Nous y découvrons un Dieu patient face à la surdité de ses prêtres, un Dieu qui fait ce qu’il peut avec les serviteurs qu’il a !
    Un texte qui je crois nous interroge profondément sur notre rapport à l’écoute et à l’engagement. Ce matin, la (quasi-)totalité des conseillers presbytéraux de notre paroisse sont réunis dans ce temple, à l’occasion de leur week-end de retraite, de réflexion. Ce texte qui s’adresse à tous, s’adresse aussi à eux particulièrement. Il nous interroge toutes et tous sur notre propre capacité à repérer dans notre vie un appel :
    celui de Dieu qui nous invite à l’écouter.
    *
    Intéressons-nous d’abord à cette information que le texte nous donne :
    « Samuel ne connaissait pas encore le Seigneur ; la Parole du Seigneur ne s’était pas encore révélée à lui ».
    C’est tout de même fort de café ! Souvenez-vous que Samuel a été placée dès son plus jeune âge dans le sanctuaire de Silo, qu’il est un enfant réservé au Seigneur, qu’il vit dans le sanctuaire et même qu’il couche auprès du coffre de l’Alliance, au plus près de la présence de Dieu au milieu de son peuple. Et pourtant, il ne connaît pas le Seigneur, la Parole du Seigneur ne l’a pas touché ! Samuel qui est au coeur de la vie religieuse d’Israël, au coeur du système religieux, Samuel qui se prépare
    d’années en années à la prêtrise, qui fait partie des rares privilégiés qui peuvent s’approcher du coffre de l’Alliance, il n’a jamais été pour cela au bénéfice de la révélation de la Parole de Dieu. Il n’a pas encore discerné la présence de Dieu dans sa vie.
    Et pour cause ! Samuel dort à côté du coffre, Samuel et Héli dorment dans le sanctuaire. On peut l’entendre de deux manières. D’abord de manière tout à fait pratique : le soir ils étendent leurs paillasses dans le Temple, ils sont là pour veiller à la « lampe de Dieu » qui ne doit pas s’éteindre. Mais on peut aussi l’entendre comme un signe d’un certain endormissement spirituel. Samuel et Héli, qui sont pris dans ce
    système religieux, dans le fonctionnement quotidien du sanctuaire, n’ont plus une posture d’écoute, ils s’endorment sagement sur leur devoir accompli, sur leur traintrain de gardien de temple. Ils ne sont plus en éveil dans la mission qui leur a été donnée, ils sont en mode automatique. Pire, dans le chapitre précédent le texte nous parle des enfants d’Héli qui, eux, s’accaparent les viandes des sacrifices, qui détournent à leur profit les dons des fidèles. Pris dans cet engrenage du quotidien et de la gestion, ils oublient ce pourquoi ils sont là, la base, le fondement de leurs vocations qui est de se placer à l’écoute et au service de la Parole de Dieu. Lorsque les gestes rituellement accomplis perdent tout leur sens…
    Ils dorment ! Adossés à la Loi, adossés à la présence de leur Dieu révélée
    l’Alliance donnée à Moïse, ils dorment ! Eux qui doivent veiller à ne pas laisser s’éteindre la flamme du sanctuaire, ils s’assoupissent et c’est leurs propres flammes qui perdent de leur vigueur.
    Ce n’est même pas l’expérience ni la sagesse que l’on pourrait attendre d’Héli qui permettent au jeune Samuel de découvrir les richesses de la Parole de Dieu.
    Souvenons-nous que c’est lui, Héli, au premier chapitre de ce livre, qui avait voulu chasser Anne, la mère de Samuel, hors du sanctuaire confondant l’attitude de cette pauvre femme en supplication et en prière avec celle d’une soûlarde ! Même le vieux prêtre a les yeux aveugles. Même le vieux prêtre ne comprend pas tout de suite que c’est le Seigneur qui appelle Samuel. Même le vieux prêtre a besoin d’interroger
    Samuel, au petit matin, pour connaître la Parole de Dieu. Le vieil Héli aurait bien besoin de prendre sa retraite ! Mais peut-on se mettre à la retraite de la Parole de Dieu ?
    Dieu a de l’humour, je vous l’ai dit, parce que c’est dans ce contexte, c’est dans ce sanctuaire endormi qu’il va se révéler, qu’il va offrir sa vocation au jeune Samuel.
    La subversion de Noël est déjà là puisque Dieu choisit un enfant pour faire entendre sa Parole aux Hommes.
    Ici, la Parole de Dieu s’instaure d’abord dans un dialogue. C’est premièrement un appel dans la nuit. Une voix qui appelle le jeune enfant par son prénom :
    « Samuel ! ». Dieu n’appelle pas à la cantonade, mais il nous appelle chacun par
    notre nom. L’appel est individuel et personnel.
    C’est ensuite une réponse : « Je suis là ! » Une réponse à côté car Samuel ne
    répond pas directement à Dieu puisqu’il croit que c’est Héli qui l’appelle au coeur de
    la nuit. Une réponse pas tout à fait parfaite, il faudra s’y reprendre à plusieurs fois,
    mais une réponse qui est là et qui est nécessaire dans ce genre de récit de vocation.
    Dans l’Ancien Testament, cet appel nominatif : « Samuel », et cette réponse
    simple mais engageante : « Je suis la », répond à deux récits fondateurs pour Israël.
    Deux récits essentiels dans la construction de la foi juive. Un appel nominatif adressé
    à Samuel en écho à l’appel nominatif adressé à Abraham en Genèse 22 lorsque Dieu
    demande au patriarche d’aller sacrifier son fils Isaac, et à l’appel nominatif adressé à
    Moïse en Exode 3 lorsque Dieu se fait connaître au berger dans un buisson en feu.
    Abraham, Moïse, Samuel. Le patriarche, la Loi, le prophète. Trois personnages que
    Dieu appelle pour les faire devenir des figures centrales pour le peuple d’Israël, trois
    hommes que Dieu appelle alors que leurs situations étaient loin d’être parfaites. Un
    vieillard en errance à qui Dieu demande de tuer son fils, un berger en quête d’identité
    et criminel en évasion, un jeune garçon endormi et pris dans le système religieux.
    Trois appels, trois parcours. Et chaque fois la même réponse : « Je suis là ».
    Alors que Dieu semblait s’être absenté de la vie de ces trois hommes, alors que
    la Parole de Dieu se fait souvent rare dans les situations qui semblent bouchées, trois
    hommes qui osent répondre à l’appel : « Je suis là ».
    Dans le chaos de notre vie, dans le bruit incessant de notre monde, dans le
    silence effrayant de notre sommeil, Dieu nous appelle et ce qu’il attend de nous c’est
    d’abord que nous répondions simplement : « Je suis là ».
    Mais quand on y réfléchit, est-on vraiment « là » ? Est-on toujours bel et bien
    présent ? Et même actuellement est-ce que certains d’entre vous ne pensent pas plutôt
    à leur dîner de midi, à la liste de courses pour demain ou à la lessive étendu qu’il va
    falloir repasser ? Quand le bruit de notre vie nous empêche simplement d’être présent
    pour l’autre, c’est un défi que de répondre simplement mais véritablement : « je suis
    là ». Au milieu de nos agendas noircis par les rendez-vous, c’est un défi que d’être
    toujours réellement « là » pour l’autre. Et « l’autre » vous l’écrivez comme vous
    voulez. L’autre c’est mon frère, ma soeur, l’Autre c’est aussi mon Seigneur…
    Une fois que nous sommes véritablement « là », avons-nous fait tout le
    chemin ? Pas si sûr. Être là, répondre présent, c’est très important, c’est la base de
    l’appel, mais je crois qu’il y a autre chose de beaucoup plus fort. C’est une posture à
    adopter, un travail à faire sur soi-même : c’est se mettre à l’écoute.
    Il ne suffit pas d’être simplement présent, il faut encore faire l’effort d’écouter.
    Là encore c’est un défi. Samuel a répondu quatre fois à l’appel : « Je suis là ». Or, à
    chaque fois ce n’est pas vers Dieu qu’il s’est tourné, ce n’était pas une présence à
    Dieu qu’il témoignait. A chaque fois cette réponse ne donnait rien : « Je ne t’ai pas
    appelé mon enfant ». Samuel ne peut être au bénéfice d’une révélation, ne peut enfin
    goûter à la Parole de Dieu qu’au moment où il ne répond plus : « Je suis là » mais
    plutôt : « Parle, moi ton serviteur j’écoute ».
    Notons au passage le rôle et l’importance, dans ce chapitre, d’Héli. Samuel a
    besoin de l’aide d’Héli pour justement rentrer dans cette attitude d’écoute. S’il avait
    spontanément répondu « Je suis là », Samuel a désormais besoin du discernement du
    vieux prêtre qui, lui, comprend que c’est le Seigneur qui parle. C’est lui qui donne à
    Samuel les mots qui conviennent quand Dieu s’adressera à nouveau à lui. Je crois
    qu’à la manière d’Héli, une des tâches de l’Église, un des rôles des conseillers
    presbytéraux, des pasteurs, et finalement de tous croyants c’est de discerner quand le
    Seigneur s’adresse aux autres, c’est de repérer les signes par lesquels Dieu se
    manifeste dans notre existence humaine. Le rôle d’Héli, c’est de permettre à Samuel
    d’entrer dans un dialogue choisi et voulu par Dieu. Notre rôle, en tant que témoins de
    l’Évangile c’est de permettre à nos contemporains d’accéder à la Parole de Dieu.
    Lorsque la nuit s’efface et que le jour paraît, Samuel se lève et une nouvelle vie
    commence pour lui. Son premier geste : il ouvre les portes du sanctuaire. Il fait
    rentrer la lumière dans ce lieu encore endormi, il décloisonne, il laisse la possibilité
    de rentrer ou de sortir. Une nouvelle vie qui s’ouvre pour lui comme s’ouvrent les
    portes du sanctuaire. Samuel est désormais appelé à témoigner de la Parole de Dieu.
    Cette Parole est dérangeante, elle condamne, elle tranche, et pourtant le vieil Héli est
    avide de la connaître. A présent, c’est bien lui qui appelle Samuel par son nom dans le
    sanctuaire. Et Samuel répond fidèlement, une fois de plus : « Je suis là ». Face à Dieu
    et face aux Hommes, la même réponse. Face à l’appel de Dieu et face à la soif
    spirituelle d’Héli, Samuel est présent. Il hésite là encore, mais une fois de plus Héli
    lui libère la parole et l’encourage à témoigner coûte que coûte. Parle ! Même si la
    Parole de Dieu doit blesser, doit chambouler, doit être subversive, même si elle
    condamne, même si elle n’est pas agréable à entendre, parle. C’est véritablement là
    que Samuel reçoit sa vocation de prophète. Il ne s’agit pas simplement de recevoir la
    Parole de Dieu mais un prophète est avant tout celui qui la transmet aux Hommes, qui
    en témoigne face à ses contemporains.
    Samuel qui servait le Seigneur dans le sanctuaire, à l’aube de cette nouvelle
    vie, est appelé à sortir et à servir le Seigneur d’une autre manière : il ne s’agit plus de
    sacrifier des offrandes, mais il s’agit d’être porteur de la Parole. La présence de Dieu
    qui était signifiée dans le coffre de l’Alliance gardé par des prêtres endormis est
    maintenant signifiée par le témoignage d’un jeune garçon qui va proclamer la Parole
    pour tout le pays. De l’extrême Nord à l’extrême Sud, de Dan jusqu’à Bersabée, la
    Parole va avoir un écho et va toucher le peuple d’Israël. De l’Hermon jusqu’au
    Néguev c’est tout un peuple qui va profiter de la lumière de la Parole de Dieu. Une
    parole décloisonnée, une parole percutante, souvent dérangeante mais justement
    vivante.
    *
    De nos jours, la parole du Seigneur est rare. Nombreux sont ceux qui ne
    connaissent pas le Seigneur parce que la Parole de Dieu ne s’est pas encore révélée à
    eux. Et pourtant je crois, aujourd’hui, comme dans notre texte de ce matin, que la
    « lampe n’est pas encore éteinte » et que nos yeux ne sont pas complètement fermés.
    Je crois que dans la nuit de notre monde, lorsque nos gestes n’ont plus de sens,
    lorsque notre service ne nous parle même plus, lorsque notre vie est en mode
    automatique, Dieu vient se révéler dans l’inattendu. C’est le message de Noël : Dieu
    qui se fait Homme parmi nous pour que nous allions à lui. C’est peut-être le message
    de ce texte : Dieu se fait connaître à son peuple par la voix d’un jeune garçon appelé
    à proclamer largement à tous ses contemporains une parole nouvelle, une parole
    vivante. Un jeune garçon qui a reçu son appel en ne répondant à son Dieu que par
    deux phrases : « Je suis là », et : « Parle, moi ton serviteur j’écoute ».
    Amen