La généalogie de Matthieu

Culte du 10 décembre 2017 – 2e Dimanche de l’Avent, Bois-Colombes

Lecture : Matthieu 1, 1 – 17

Prédication :

 Franchement, à quoi peut bien servir, au début de l’Évangile de Matthieu, cette généalogie fastidieuse ?

Y a-t-il quelque chose de plus ennuyeux, de plus rébarbatif qu’une liste de noms ?

C’est quand même étonnant que le Nouveau Testament ait été construit, écrit, pensé, en ouvrant sur ce texte qu’on aurait envie de sauter à pieds joints ! Et en plus, tous ces noms incroyables, pour en arriver à dire à la fin : Jacob engendra Joseph, l’époux de Marie, de laquelle est né Jésus.

Tout ça pour nous dire en fait que c’est la famille adoptive de Jésus.

A quoi ça sert ?

Et pourtant, puisque justement c’est au début du 1er Évangile du Nouveau Testament, et puisque ce n’est pas tout à fait Noël, nous allons encore prendre le temps de nous arrêter sur cette généalogie, pour en tirer l’Évangile pour aujourd’hui !

Je pourrais résumer ces 17 versets en disant :

« Dieu a choisi de cheminer avec son peuple, quel qu’il soit, et quelques soient ses turpitudes. Et ce peuple n’est pas réservé à quelques élus triés en fonction de leur pureté religieuse ou ethnique. »

Quel est-il, ce peuple ?

On connaît bien quelques hommes.

Il y a Abraham, notre Père dans la foi, celui qui a cru Dieu sur parole, alors que tout le monde, à sa place, aurait tourné les talons !

Il y a Isaac, qui eu Jacob. Jacob le rusé, qui vole le droit d’aînesse à son frère Esaü, qui est amoureux fou de Rachel au point de travailler 14 ans pour son beau-père avant de pouvoir épouser Rachel.

Il y a le roi David, très grand roi, auréolé de gloire, homme de foi à qui l’on attribue les psaumes. Il y a d’autres hommes moins connus mais dont les noms sont arrivés jusqu’à nous : Manassé, Amos, Josias, Zorobabel… Et puis d’autres hommes complètement inconnus : Azor, Akhim, Elioud, etc.

Si nous pensons à nos familles, et si tant est que nous nous soyons un peu intéressés à ceux qui nous ont précédés, nous y avons trouvé des gens peut-être importants, qui ont marqué leur époque, et aussi des gens très simples, qui sont tombés complètement dans l’oubli.

Des gens connus et d’autres inconnus.

Des gens riches et des gens pauvres.

Des gens influents et d’autres très humbles.

Et puis il y a des hommes droits et d’autres un peu moins corrects, des rusés et des simples…

Une famille, c’est tout cela, et nous sommes héritiers chacun d’une histoire qui est unique et qui nous précède.

Nous avons grandi dans une certaine culture, une religion, une langue, un pays.

Nous l’avons peut-être quitté, mais tout cela nous a construit, a fait de nous ce que nous sommes.

Cette famille dont nous sommes les héritiers, elle est nos racines, ce qui fait notre stabilité, malgré les difficultés. Mais nous y reviendrons.

L’Évangéliste Matthieu s’amuse par ailleurs à ranger les générations par 14, 14 d’Abraham à David, 14 de David à l’exil, et 14 de l’exil jusqu’au Christ.

Bien sûr, si vous essayez de reprendre l’Ancien Testament pas à pas, d’une part vous trouverez d’autres noms que ceux qui sont indiqués par Matthieu, et vous vous rendrez compte qu’il y a eu plus de générations que ce qui est indiqué.

Matthieu arrange un peu l’histoire à sa manière !

Mais c’est pour dire la plénitude. 3 x 14, (2 X 7), le nombre de l’accomplissement parfait, Dieu agit, il visite son peuple quand le moment est arrivé.

Tout est bien.

Tout est bien, certes, mais il y a quand même dans cette généalogie quelques grains de sable, et ces grains de sable, …. ce sont les femmes ! Comment dans une tradition patriarcale, a-t-on pu laisser ces noms de femmes !

Et quelles femmes !

Juda, avec ThamarThamar, mariée au fils aîné de Juda qui mourut, puis au second fils de Juda qui mourut aussi, elle se déguise en prostituée afin que Juda couche avec elle, et qu’elle ait une descendance.

Rahab est, elle, une prostituée professionnelle à Jéricho.

Elle accueille chez elle deux espions de Josué. Que venaient-ils faire chez cette femme ?

La Bible ne nous le raconte pas, mais nous le fait deviner quand même.

Cette femme, étrangère et aux mœurs plus que douteuses, a la vie sauve lors de la destruction de Jéricho, car elle a caché les espions de Josué, venus préparer l’invasion de Jéricho.

Comment cette prostituée est-elle devenue si savante en théologie – elle fait un discours digne d’un bon rabbin, rappelant la supériorité du Dieu d’Israël sur tous les autres dieux.

Incroyable !

Apparemment, elle a dû changer de métier puisqu’on la retrouve en Israël mariée et avec enfants.

3ème femme, Ruth, la Moabite fidèle qui préféra rester avec sa belle-mère Noémie, après la mort de tous les hommes de la famille.

Là où tu iras, j’irai, dit-elle. Elle séduit Booz, par des artifices très féminins, parfum, toilette, discrétion, humilité mais présence régulière, et le convainc d’exercer son droit de rachat pour les terres de la famille de Noémie et de l’épouser ! Et enfin, celle dont on ne prononce pas le nom : la femme d’Urie !

Vous connaissez sans doute cette histoire épouvantable, toute à la honte du roi David, qui, apercevant Bethsabée se baignant sur sa terrasse, en tombe éperdument amoureux, lui ordonne de venir dans son palais – que pourrait donc dire une femme contre cela ? – et fait tuer l’époux en le faisant exposer tout seul au combat.

Salomon est le fruit de l’adultère et d’une ruse horrible.

Et tout ça pour arriver à Joseph !!

Dont Jésus n’est même pas le descendant !!

Que veulent nous dire ces irruptions de femmes hors norme ?

Dans nos histoires de famille aussi, il y a des choses dont on préfère ne pas parler, on les cache, ce sont « des cadavres dans le placard », mais ces histoires sont tues, elles sont passées sous silence, il y a des branches qui disparaissent… et personne n’en dit plus rien.

Ce n’est pas le cas dans l’Évangile de Matthieu. En les citant, c’est comme si Matthieu mettait le projecteur dessus.

Vraiment, cette généalogie n’en finit pas de nous surprendre. Dieu donne, en son temps, quand tout est accompli, un sauveur.

Celui-ci est l’enfant adoptif d’une famille de bric et de broc, d’hommes et de femmes avec des histoires rocambolesques ou discrètes, des étrangères, des femmes de mauvaises vies.

C’est de tout cela que Jésus hérite par adoption. Car de Marie, on ne saura rien.

Oui vraiment, Dieu a choisi de cheminer avec son peuple, quel qu’il soit, et quelques soient ses turpitudes.

Et ce peuple n’est pas réservé à quelques élus triés sur le volet, en fonction de leur pureté religieuse ou ethnique, ni leurs mérites, leurs compétences et leurs savoir-faire !

D’ailleurs, savez-vous pourquoi David a été un « très grand roi, auréolé de gloire, un homme de foi », un roi exemplaire, modèle pour tous les futurs roi … qui devait être de sa descendre ? (d’où l’importance pour Jésus d’être inscrit dans cette généalogie!) …

Non, et contrairement à ce que pourrait laisser penser les récits de ses conquêtes militaire, ce n’est pas à cause de ses faits d’armes, ni de ses dons de chef militaire et de stratège – et même pas à cause de ses mérites d’homme politique qui a réussi d’unir toute les tribus d’Israël en un royaume unifié. …

Non, sa grandeur ne réside pas dans ses mérites, ses succès, ses exploits, mais dans sa capacité de se reconnaître pécheur – suite à l’ épisode évoqué plus haut de l’adultère avec « la femme d’Urie » et du meurtre à peine déguisé de ce vaillant soldat !

Non seulement ce sombre récit n’est pas tu dans la Bible – pour garder une image sans tache du grand roi, mais au contraire, relaté dans un récit assez détaillé. Tout comme sa confession de péché qui a été intégré dans le Psautier, au numéro 51, sous le titre de « Psaume de David. Quand le prophète Natan alla chez lui, après que David fut allé chez Bethsabée ». Psaume qui, dès ses premier versets, exprime la reconnaissance de la faute et s’en remet à Dieu : « Aie pitié de moi, mon Dieu, selon ta fidélité ; selon ta grande miséricorde, efface les torts. … Car je reconnais mes torts » (Psaume 51,3-5).

Comme David, nous pouvons alors reconnaître nos imperfections, nos manquements, nos torts et à notre tour entrer dans cette famille qui, depuis le Christ, s’est ouverte toute grande à tous ceux qui reconnaissent en lui leur Seigneur. Et que nous soyons cultivés ou simples, riches ou humbles, honnêtes ou tortueux, rigoureux ou rusés, de noble ascendance ou roturier, le Christ nous reçoit dans sa famille qui a été tout cela à la fois.

C’est lui qui nous donne d’être sauvés et non un héritage ou un mérite quelconque.

En lui, il n’y a plus ni juif ni grec, ni homme ni femme, ni esclave, ni homme libre, car nous ne sommes qu’un en Jésus-Christ.

Déjà, la généalogie de Matthieu nous l’annonce.

Amen.

Pasteur Andréas Seyboldt