La faute, le pardon et la responsabilité (II Samuel 12, 1-7a, le 31 janvier 2016)

pardon

Nous sommes au printemps.

David a envoyé son armée en guerre contre les Ammonites.

Il est resté à Jérusalem.

Le soir, alors qu’il se promène sur la terrasse du palais, il aperçoit une femme très belle, qui se baigne. Il apprend que c’est la femme d’Urie, parti à la guerre. Elle s’appelle Bethsabée.

David la convoque au Palais et couche avec elle.

Bethsabée tombe enceinte.

Alors, David fait revenir son mari, sous prétexte d’avoir des renseignements sr la campagne militaire. Il espère ainsi qu’Urie aura des relations avec sa femme et que la grossesse de celle-ci lui sera attribuée.

Mais Urie est scrupuleux. Il sait que, durant une campagne militaire, un soldat ne doit pas en avoir.

Alors que faire pour éviter un scandale et, accessoirement, pour garder Bethsabée près de lui ?

David trouve la solution, simple et imparable : il envoie Urie dans une opération militaire suicide

Son plan est couronné de succès : Urie se fait tuer. Bethsabée prend le deuil de son mari puis David l’accueille dans sa maison et elle met au monde un fils.

En apparence, David a gagné sur tous les tableaux : il a préservé sa réputation et épousé Bethsabée.

Israël n’est pas différent des autres Royaumes et son roi se comporte comme tous les autres rois de la terre : en se servant de son pouvoir pour satisfaire son bon plaisir.

Là où Israël diffère, là où son roi n’a pas la même marge qu’un autre roi, c’est qu’il existe un contre-pouvoir, celui des prophètes.

Nathan est l’un d’entre eux.

Comme beaucoup, il a deviné ce qui s’était passé.

Mais à la différence des autres membres de la cour, il vient voir David.

Nathan a un double objectif : 1er objectif : faire savoir à David qu’il a dépassé une ligne, trahi ses engagements ; second objectif, plus difficile : permettre à David de prendre conscience de sa faute.

Alors Nathan lui raconte une histoire d’abus de pouvoir – celle d’un riche qui sacrifie la brebis tant aimée d’un pauvre, pour nourrir un invité de passage ;

Nathan demande à David comment il réagirait si une pareille situation lui était soumise.

David s’insurge et réclame la condamnation du coupable et une réparation exemplaire : 4 fois le préjudice subi !

Alors le prophète conclut : « Cet homme, c’est toi ».

Puis, Nathan décrit à David les conséquences de son acte : David sera pardonné par Dieu mais les conséquences de son acte le poursuivront : « l’épée ne s’écartera pas de ta maison, l’opposition et le conflit sont entrés dans ta famille ».

De cette rencontre entre David et Nathan, nous pouvons tirer 4 enseignements, pour nous, aujourd’hui.

1er enseignement : Nathan fait son travail de prophète.

Au nom de Dieu, il constitue un contre-pouvoir.

La Bible est infiniment prudente sur le pouvoir car elle est infiniment prudente sur l’humain.

Elle sait que tout homme peut abuser de sa position, s’affranchir des limites, qu’il soit chef d’État, responsable d’entreprise ou d’Eglise, simple employé, époux, ou parent.

Conscient de cette réalité, le protestantisme s’est efforcé de susciter des contre-pouvoirs, dans la société, les institutions publiques, en l’Église, à l’école.

En France, nos Eglises ont pu croire que le combat était gagné : après tout, ns chefs d’État ne sont en rien de dictateurs, des structures comme le conseil constitutionnel protègent le citoyen, la démocratie entre peu à peu à l’école ou à l’hôpital …. et notre propre Eglise n’est guère menacée par le culte de la personnalité. Mais, nous le sentons bien, si les crises internationales s’accentuent, si de nouveaux attentats endeuillent notre pays, la tentation sera forte pour l’État de surveiller et punir préventivement. Il deviendra alors nécessaire de rappeler au Pouvoir les limites de son action et de dénoncer les abus auxquels il se livre.

Au nom de l’Evangile, l’Eglise devra prête à le faire.

2ème enseignement : le pardon est toujours possible.

Nathan l’annonce : Dieu pardonne David.

Si l’enfant porté par Bethsabée va mourir, elle mettra au monde un autre enfant, Salomon. Et Nathan donnera à cet enfant un second nom, Yedidya, ce qui veut dire « chéri de l’Eternel »

Quelle meilleure preuve peut-il exister du pardon de Dieu ?

Dans les psaumes, ce haut lieu de la spiritualité dans le Premier Testament, le mécanisme du pardon est dévoilé.

Dieu pardonne, s’émerveille l’auteur du psaume 139, en ce qu’il met de la distance entre la personne et la faute commise : « l’Eternel met entre nous et nos mauvaises actions la même distance qu’entre l’Orient et l’Occident ».

Nous ne sommes pas confondus avec nos fautes, nous ne sommes pas définis par ce que nous avons pu faire de mal.

Pardonner, c’est aussi dire au coupable, « tu n’es pas condamné à la répétition ».

Dans de semblables circonstances, tu pourras agir différemment.

C’est ce regard que Dieu pose sur nous : oui, nous dit il en substance, tu as pu errer, ne pas venir en aide à celui qui en avait besoin, manipuler autrui, te taire quand il fallait parler ou parler quand il fallait te taire. Mais tu n’es pas que cela. Et si tu as pris conscience de tes errements, tu deviendras capable de les éviter.

Tu n’es ni défini ni condamné par ce que tu as pu faire.

Tu peux ouvrir une nouvelle page de ta vie.

3ème enseignement : pardonner n’est pas effacer mais affronter les conséquences de nos actes.

C’est ce que Nathan oblige David à faire : « L’épée ne s’écartera pas de ta maison, l’opposition et le conflit sont entrés dans ta famille ».

La suite de l’histoire nous montre que Nathan a vu juste.

Voici ce qui arrive après le meurtre déguise d’Urie.

Ammon, le fils de David, tombe amoureux de sa demi-sœur, Tamar.

Il abuse d’elle puis la rejette.

Absalom, frère de Tamar, venge sa soeur en tuant Ammon.

Puis il doit fuir la colère du roi

Finalement, il revient à Jérusalem et obtient le pardon de son père.

Pourtant, il complote contre li et oblige David à fuir.

Mais David réunit ses partisans contre Absalom, le nouveau roi.

Au cours d’une bataille, Absalom est tué et David remonte sur le trône.

On peut même dire qu’Israël ne se remettra jamais d’un pareil abus du pouvoir. Malgré Salomon, le royaume va se diviser avant d’être dépecé.

Comme vous le constatez, nous sommes plus proches de la vendetta corse que de l’histoire pieuse !

Ainsi, cette histoire mêle le pardon inconditionnel de Dieu et les conséquences d’un acte, parfois sur le long terme.

Le pardon n’est pas une éponge qui efface la faute.

Il ouvre à un autre avenir et pour cela, contraint à regarder en face la faute commise et à tout faire pour la réparer. D’ailleurs, en hébreu, « pardon » et « réparer » ont une même racine.

Et lorsqu’il n’est pas possible de réparer la faute, alors il est nécessaire d’en affronter les conséquences.

Dans l’exemple de David, le meurtre d’Urie a évidemment des effets sur ce dernier. David aura beau confesser son péché, demander pardon et le recevoir, un homme sera mort par sa faute.

Nos actes ont des conséquences parfois irrémédiables sur la personne qui en est victime.

Si je ne suis pas présent auprès de mes enfants ou de mes parents, au moment où ils en ont besoin, il est ensuite trop tard.

Comme l’écrit Jankélévitch, « Il y a une seule chose que Dieu lui-même ne sait pas faire que les choses faites n’aient jamais été faites ».

Mais la responsabilité de David va au-delà : elle est sociale.

David n’a suivi que ses envies, n’hésitant pas à déclencher la violence pour arriver à ses fins ;

En donnant ainsi un funeste exemple, il pousse son clan et un pays entier à faire de même.

Ainsi, quand Nathan annonce les déchirements à venir, il ne parle pas d’une punition de Dieu mais d’une conséquence logique : « Tu n’as respecté personne, tu as montré le plus complet mépris de la personne humaine. Ta famille fera de même et le pays aussi. En tuant Urie, tu as tué les valeurs de ton peuple. »

Bien sûr, aucun de nous n’est roi ; mais nos actes ont aussi des conséquences sociales.

Si j’agis avec foi, courage, dans la vérité, j’incite mes proches à faire de même. Nos attitudes, et nos modes de relations vont au-delà de ce que nous pensons.

De même, nous jouons un rôle social utile lorsque, à notre petite échelle communautaire, nous donnons l’exemple d’une autre façon de gérer des conflits sans mettre sur la touche celui nous gêne, d’écouter des voix minoritaires, de faire attention aux plus fragiles.

Ainsi, pardon et responsabilité ne s’opposent pas mais s’accompagnent : le pardon sans responsabilité est une démission, la responsabilité sans pardon ouvre sous nos pieds un gouffre de culpabilité.

Ainsi, et épisode douloureux situe le pardon de Dieu à sa juste place.

Ce pardon n’autorise pas à faire n’importe quoi mais il permet de repartir.

Chacun de nos actes produit du fruit, bons ou mauvais, parfois sur le long terme.

Chacun de nous doit réparer ou affronter les conséquences de ces actes.

Mais fort du pardon de Dieu, chacun de nous peut sortir de la malédiction du passé et tourner une nouvelle page de son existence.

O Dieu ! aie pitié de moi dans ta bonté !

Détourne ton regard de mes péchés, efface toutes mes injustices.

Car je reconnais mes transgressions, et ma faute est constamment devant moi.

J’ai fait ce qui est mal à tes yeux,

O Dieu ! crée en moi un cœur pur,

Ne me rejette pas loin de ta face, ne me retire pas ton esprit saint.

Rends-moi la joie de ton salut, et qu’un esprit de bonne volonté me soutienne !

Amen !