La dynamique protestante (1er novembre 2015)

Dimanche 1er novembre 2015

Texte biblique : Ephésiens 2,8-9

« La France se protestantise »

calvingeneve

« La France est un pays protestant peuplé de catholiques »

Vous connaissez ces formules d’Alain Duhamel ou d’autres journalistes, sociologues voire responsables d’Eglises, formules qui se veulent des constats ou des projections.

Progressivement, les grandes valeurs protestantes se diffuseraient dans la société.

Alors, citons-en quelques-unes.


Il y a d’abord la responsabilité individuelle.

Après avoir, pendant des siècles, tout attendu de l’Etat, peu à peu les Français prendraient leurs responsabilités, ils auraient compris que la bonne marche du pays dépend de leur dynamisme, que la solidarité, l’économie, l’écologie, la sécurité ou les droits de l’homme sont l’affaire de tous.

Dans le domaine économique aussi montent le désir d’entreprendre, le désir d’autonomie, la « valeur travail ».

Autre valeur protestante : la tolérance.

Progressivement, notre pays admet la multiplicité des façons de vivre, des façons de croire. Non sans tensions – je pense en particulier à l’islam – la France renonce peu à peu à l’uniformité linguistique, culturelle, religieuse. Parce qu’ils ont subi l’intolérance, parce qu’ils ont été successivement persécutés, tolérés puis réellement intégrés dans la communauté nationale, les protestants pourraient aider les autres communautés à s’assimiler.

Enfin, troisième valeur prétendument protestante : la liberté de conscience.

Il y a encore une ou deux générations, les enfants adoptaient la religion de leurs parents. Aujourd’hui, ce « menu unique » a été remplacé par un « buffet » où chacun choisit et picore ce qui nourrit ses préoccupations du moment.

Cette liberté de conscience fait écho au véritable geste fondateur de la Réforme, je pense à la fameuse déclaration de Luther qui, alors qu’on lui demandait de soumettre sa conscience au pouvoir religieux, réplique : « Il n’est ni bon ni sain d’aller contre sa conscience. Que Dieu me vienne en aide ».

Ainsi, il semblerait que les valeurs de responsabilité, de tolérance et de liberté de conscience imprègnent de plus en plus notre pays. Et certains célèbrent cette montée en puissance comme une victoire du protestantisme. A défaut de recruter des protestants, nous aurions réussi à rendre la France un peu plus protestante. Ou, pour dire les choses autrement, si la grenouille protestante n’a pas réussi à devenir aussi grosse que le bœuf catholique, elle a su se laisser absorber et mettre un peu de grenouille dans le bœuf.

Seulement, il y a un problème.

Passons rapidement sur le caractère discutable du constat.

Après tout, notre pays devient-il réellement plus tolérant, plus responsable, plus favorable à la liberté de conscience ?

Passons aussi sur la tentation des protestants de s’approprier des valeurs comme la tolérance, la liberté de conscience ou le capitalisme. Car, et c’est heureux, elles ne sont pas notre propriété exclusive.

Passons sur tout cela car le véritable problème est ailleurs : en réduisant le protestantisme à des valeurs morales ou sociétales, nous trahissons l’esprit de la Réforme.

Bien sûr, depuis l’origine, le protestantisme a généré des changements politiques, sociaux ou moraux considérables. Bien sûr, il a modelé des sociétés.

Les pays anglo-saxons protestants se différencient des pays latins catholiques et plus encore des pays musulmans ou shintoïstes.

Mais, avant tout, le protestantisme a eu pour ambition première de réformer la foi, de réformer notre façon de nous tenir devant Dieu.

Le message central de la Réforme, que Luther prêchera dans l’Eglise catholique romaine puis au dehors, que Calvin, Bucer ou Zwingli s’efforceront de répandre et d’expliquer, n’est pas principalement éthique mais spirituel.

Il puise sa substance dans de nombreux passages de l’Ecriture, et notamment dans celui que nous avons entendu ce matin : « C’est par grâce que vous êtes sauvés, par le moyen de la foi. Vous n’y êtes pour rien, c’est le don de Dieu. Cela ne vient pas des œuvres afin que nul n’en tire orgueil. Car c’est lui qui nous a faits ; nous avons été créés par Dieu en Jésus-Christ pour les œuvres bonnes que Dieu a préparés d’avance pour ceux qu’il aime ».

En quelques mots sont ici résumées quelques-unes des grandes affirmations de la Réforme.

Première affirmation : nous ne sommes pas sauvés par nos rites ou nos réussites .

Selon le discours religieux dominant, nous pouvons nous assurer la bienveillance des dieux par des rites, des sacrifices, des sacrements, des pèlerinages, voire de bonnes actions. Quant à la religion laïque, elle affirme que ce qui sauve notre vie, c’est au choix, la réussite professionnelle, la sexualité, la beauté ou l’hédonisme.

Ainsi, que la perspective soit religieuse ou laïque, le salut dépend de nous.

Paul renverse les perspectives : nous ne sommes pas sauvés par nos œuvres, autrement dit par notre façon de croire ou de vivre.

Nous ne sommes prisonniers d’aucun rite, d’aucun sacrifice personnel ou collectif, d’aucune morale, d’aucun dogme, d’aucune obligation de nous sacrifier au canon de la réussite sociale.

Car, et c’est la deuxième affirmation, nous sommes sauvés par grâce.

Au moment même où je me tourne vers Dieu, je découvre que je n’ai plus à arracher son amour, son pardon.

Je n’ai plus rien à faire … c’est lui qui a tout fait.

Je n’ai plus à me sacrifier, c’est lui qui s’est sacrifié pour moi.

Je n’ai plus à monter jusqu’à lui, c’est lui qui est descendu jusqu’à moi.

Je n’ai plus à me vouloir parfait, c’est lui qui agit en moi.

C’est lui qui se tourne vers moi et me sauve : du mal, du sentiment de vivre pour rien, du désespoir, de la peur de la mort.

Tout cela m’est offert gratuitement, sans que je le mérite, avant même que je le lui ai demandé.

Troisième pilier de la Réforme : la foi.

Rien ne peut la remplacer : ni la connaissance – même de l’Ecriture – ni les rites – même le baptême ou la cène.

C’est par la foi que je découvre la présence de Dieu en moi.

La foi n’est pas la condition du salut ; Dieu ne se tourne pas vers moi parce que je crois en lui ; c’est lorsque je crois en Lui que je sais qu’il est tourné vers moi.

C’est également par la foi que je reçois les dons de Dieu.

Par son Esprit, il me recrée à son image, il me pacifie, m’élève au-dessus de moi-même, il me dépréoccupe de moi pour me tourner vers mon prochain.

La foi est la clé qui permet d’ouvrir ce trésor.

Elle m’ouvre enfin à l’espérance.

Nous vivons dans la peur : peur pour nous et nos proches, peur de l’avenir, peur d’un déclin économique, peur des réfugiés, peur des catastrophes climatiques

Pour affronter de pareils enjeux, la raison et l’intelligence sont nécessaires. Mais l’espérance est également nécessaire, fondée non seulement sur l’analyse objective de la situation mais aussi sur la présence de Dieu, sur les promesses de Dieu.

Espérance collective, espérance individuelle. Car, si nous désespérons du monde, il nous arrive aussi de désespérer de notre propre vie. Or, plus notre foi est vivante, et moins nous avons le sentiment que la vie se résume à une succession d’obstacles à franchir, mais qu’elle peut être riche et féconde.

Ce troisième pilier de la Réforme est actuellement ébranlé dans nos vies comme dans nos Eglises. Pourtant, être protestant consiste à appartenir à un peuple, à une histoire, à une culture collective mais surtout à Dieu.

Il reste un quatrième pilier : la mise en pratique de notre foi : « Nous avons été créés en Jésus-Christ pour les œuvres bonnes que Dieu a préparées d’avance pour ceux qu’il aime ».

La foi produit des fruits.

Fruits dans notre vie familiale, avec l’engagement dans la durée auprès de son conjoint et de ses proches, le respect de l’autre et la recherche de son épanouissement.

Fruits dans le domaine collectif avec la participation du croyant à la vie du pays, à la recherche du bien commun, ici et ailleurs.

Fruits dans le domaine éducatif avec l’éducation à la liberté et à la responsabilité.

Dans tous ces domaines, le protestantisme n’a pas failli à sa tâche.

Individuellement, il a généré un certain mode de vie, une certaine façon d’être, responsable, tolérant, ouvert à la modernité et à la laïcité, sensible au sort des minorités.

Seulement, depuis quelques décennies déjà, notre protestantisme s’est tellement concentré sur les fruits qu’il en a quelque peu oublié l’arbre, la foi.

Par suite, il a été réduit à un simple ensemble de valeurs, certes estimables mais finalement infructueuses si elles ne sont pas portées par la foi.

De même, le protestantisme a été à l’origine de nombreuses œuvres.

De « L’armée du salut » à « La Cause », de la « Eeudf » aux « UCJG », de « La Force » à la « Croix bleue », de « La Cimade » à la « Mission populaire », il a ouvert des pistes originales en matière d’éducation, de travail social ou d’accompagnement des souffrants.

Ces œuvres et mouvements protestants ont été créés au nom de l’Evangile, par des chrétiens convaincus.

Ils ont été longtemps portés par une dynamique spirituelle.

Parfois, ils ont perdu de leur élan spirituel, ils ont négligé la foi pour mieux coller au monde et à ses valeurs. Alors, ils ont régressé en force et en originalité.

Pour nos mouvements, pour nos Eglises, pour notre vie familiale et personnelle, il est temps de se le rappeler : le protestantisme est avant tout une démarche de foi, une réponse libre et joyeuse à la grâce de Dieu : « C’est par grâce que vous êtes sauvés, par le moyen de la foi. Vous n’y êtes pour rien, c’est le don de Dieu ». Amen !