« Il n’est pas bien de mentir !»

Lectures : Exode 1 / 1 – 22

Prédication :

« Il n’est pas bien de mentir !»

C’est ce que l’on apprend aux enfants, en général et dès le plus jeune âge, n’est-ce pas ?

Or, dans ce récit autour du pharaon et des sages-femmes, de l’empire égyptien et du peuple des Hébreux, c’est justement le mensonge qui permet une issue salutaire de l’histoire : c’est parce que les sages-femmes mentent délibérément au pharaon au sujet des femmes israélites, cachant ainsi leur désobéissance à l’ordre qu’il leur donne de tuer les garçons nouveau-nés, que la vie triomphe sur la mort!…Mais, comment on en est arrivé là?

Tout avait pourtant si bien commencé, depuis que les descendants d’Abraham avaient émigré en Égypte, accueillis très favorablement par le pharaon et les autorités de l’époque… on nous précise trois changements importants qui vont considérablement transformer la situation :

Premièrement, les descendants d’Abraham, appelés maintenant « Hébreux » ou bien « les Israélites » se sont considérablement multipliés… ce qui signifie que la promesse de Dieu donnée à Abraham, de devenir le père d’une multitude d’enfants, s’est réalisée !

Deuxièmement, le pharaon d’autrefois n’est plus aux commandes : « un nouveau roi commença à régner sur l’Égypte qui ne savait rien de Joseph » (c’est lui, un des arrières-petits fils d’Abraham, qui avait fait carrière à la cour du pharaon ayant obtenu un statut de ministre reconnu et apprécié. … Et c’était, en effet, grâce à lui que ses frères et leurs familles avaient été accueillis si favorablement par les Égyptiens …).

Puis, troisièmement, ce qui est la conséquence des deux points précédents, le nouveau pharaon va mettre en œuvre une politique de répression à l’égard des Hébreux :

« Voyez », dit-il à son peuple, « les Israélites forment un peuple plus nombreux et plus fort que nous. il faut trouver un moyen pour limiter leur nombre. … . Les Égyptiens désignèrent alors des chefs de corvées pour accabler le peuple d’Israël en lui imposant de rudes travaux » (Exode1,9-11).

Mais en dépit du travail asservissant qu’il leur impose, les Israélites continuent de se multiplier ce qui suscite malaise et peur parmi les Égyptiens.

Les initiatives du souverain égyptien témoignent des mêmes contradictions que l’on constate fréquemment dans les politiques menées à l’égard des étrangers : les immigrants sont considérés d’une part comme un danger, mais, d’autre part, ils sont indispensables pour accomplir les durs travaux dont les autochtones ne veulent pas se charger.

L’échec de sa politique de répression, va pousser le souverain d’Égypte a mettre en œuvre des mesures encore plus radicales et, ouvertement, meurtrières pour laquelle il engage des sages-femmes. Il leur ordonne de tuer tout bébé mâle qui sort du ventre d’une femme hébreu. Au lieu de faire accoucher à la vie, ce qui est leur métier et leur vocation, elles sont contraintes de la détruire. … Jusqu’à là, rien de bien nouveau, hélas, « sous le soleil » de notre terre: les puissants, les tyrans de ce monde, pour garder le pouvoir, n’hésitent pas à user des pires actions pour y parvenir …

… non seulement en éliminant les adversaires adultes, mais même en s’en prenant aux plus petits, aux plus vulnérables…

Cette politique du pharaon dans notre récit, particulièrement cruelle et moralement insupportable, a trouvé, hélas des imitateurs tout au long de l’histoire des peuples et de l’humanité et jusqu’au 20e siècle :

Les nazies faisaient assassiner les enfants juifs avec le même raisonnement fou que Pharaon ici : éviter que les Juifs se multiplient !

Les victimes d’autres génocides, p.ex. au Rwanda et en Bosnie-Herzégovine, ont été aussi des enfants, à côté d’autres personnes vulnérables comme les vieillards …

Que faire face à la tyrannie qui détient un pouvoir quasi-absolu ?

Que faire pour ne pas risquer sa vie si l’on s’y oppose ?

Les sages-femmes, elles, prennent le risque de la désobéissance – non pas par la force, mais par une ruse … et un mensonge ! Qui sont-elles, en fait ? Leur noms, Chifra et Poua, ont un lien avec l’histoire à venir de la naissance de Moïse : Chifra peut être traduit par « beauté » et Poua par « jeune femme ». On dira de Moïse qu’il était beau et qu’il a dû son salut à de nombreuses jeunes femmes ! (Nous en parlerons dimanche prochain…). Ensuite, à quel peuple appartiennent-elles ?

La tradition juive – et la traduction de la Bible en français courant qui est la nôtre ce matin – voit en elles des Israélites alors que la logique du récit laisse plutôt penser qu’il s’agit des Égyptiennes…

Dans la traduction de la TOB et de la NBS, elles sont présentées simplement comme les « sages-femmes des Hébreux » (v15). Elles craignent Dieu, telle est leur motivation pour désobéir à Pharaon.

Bien plus que la peur de la punition divine, la crainte de Dieu est une attitude de foi, bien connue dans toute la Bible, guidée par des principes éthiques en harmonie avec la volonté de Dieu.

A partir du 4e siècle avant l’ère chrétienne, l’expression « craignant Dieu » servira à désigner les païens qui vénèrent le Dieu d’Israël, sans être Israélites ou juifs. Si l’on admet que les sages-femmes sont des Égyptiennes, notre récit exprime alors une importante conviction théologique :

Au commencement même de l’histoire de l’Exode, de l’événement fondateur de la foi d’Israël, ce récit fait la critique d’une interprétation simpliste de cette foi selon laquelle les « bons » Israélites seraient opposés aux « méchants » Égyptiens.

C’est pour cette raison également que, dans la conclusion du récit, il est mentionné la bienveillance dont Dieu fait preuve aussi bien à l’égard d’Israël qu’envers ces sages-femmes égyptiennes.

Leur histoire est un témoignage plein de pittoresque et d’humour que les Hébreux devaient se raconter par la suite au souvenir de leurs misères et de leur libération, en riant à la pensée que deux humbles sages-femmes avaient tenu tête au souverain d’Égypte et avaient été les instruments de Dieu pour déjouer les violences de Pharaon. …

Ici, comme ailleurs dans la Bible, Dieu utilise les faibles et les rabaissés pour vaincre les forts. …

Et puis, en pensant à l’expression « sexe faible », par lequel, traditionnellement on désigne les femmes en opposition au « sexe fort » que seraient les hommes : le vrai « sexe faible » dans ce récit, ce sont les hommes ! Pharaon, d’abord qui n’arrive pas à se faire obéir et à contrôler la croissance du peuple… Les petits garçons ensuite, dont la vie ne tient qu’à un fil, celui de la « crainte de Dieu » et du courage des sages-femmes. L’exemple masculin par excellence que la Bible nous donne, c’est Jésus, qui est allé jusqu’à la mort sur la croix par fidélité et obéissance à la volonté de Dieu.

Par la croix et la résurrection, Dieu réinterprète force et faiblesse, sagesse et folie,

« car », comme l’écrira quelques siècles après l’Exode un des plus fervents interprètes de cette volonté de Dieu, « ce qui est folie de Dieu est plus sage que les hommes, et ce qui est faiblesse de Dieu est plus fort que les hommes » (1Cor.1,25).

Et pour terminer, quelques questions que l’exemple de ces sages-femmes m’inspire et que je soumets à votre méditation personnelle : A qui ou à quoi accordons-nous le pouvoir de vie et de mort sur nous ? Dis comme cela, nous ne pensons peut-être à rien…

A qui ou à quoi tenons-nous tant que nous en serions malades de le perdre ?

A qui ou à quoi tenons-nous tant que sa disparition serait tragique pour nous ?

Au-delà des attachements affectifs bien normaux, pourquoi serions-nous prêts à mettre notre vie, notre santé en danger ? Cela vaut sans doute la peine que chacun y réfléchisse, dans la semaine qui vient. Serions prêts à risquer notre vie pour sauver la vie de quelqu’un ? Serions-nous prêts à nous dessaisir de notre vie, parce que nous avons confiance au Dieu de Jésus Christ qui donne la vie, même au-delà de la mort ?

Amen.

Pasteur Andréas Seyboldt