Foi et politique (Dimanche 7 mai 2017)

Prédication du 7 mai 2017

Texte biblique : Marc 12,13-17 

En ce jour de second tour d’élections présidentielles, et au-delà des regards différents que nous portons sur les deux candidats et leur programme, quel éclairage nous apporte l’Evangile sur l’État et la politique ?

Lorsque vous pensez à ce sujet, un autre passage biblique que ceux que nous venons de lire vous vient-il à l’esprit ?

Nous allons l’entendre maintenant, en Marc 12,13-17 :

Ils envoient auprès de Jésus quelques Pharisiens et quelques Hérodiens pour le prendre au piège en le faisant parler.

Ils viennent lui dire: « Maître, nous savons que tu es franc et que tu ne te laisses pas influencer par qui que ce soit: tu ne tiens pas compte de la condition des gens, mais tu enseignes les chemins de Dieu selon la vérité. Est-il permis, oui ou non, de payer le tribut à César ? Devons-nous payer ou ne pas payer ? »

Mais lui, connaissant leur hypocrisie, leur dit: « Pourquoi me tendez-vous un piège ? Apportez-moi une pièce d’argent, que je voie ! »

Ils en apportèrent une.

Jésus leur dit: « Cette effigie et cette inscription, de qui sont-elles ? »

Ils lui répondirent: « De César. »

Jésus leur dit: « Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu. »

Et ils restaient à son propos dans un grand étonnement.

Ce passage bien connu relate donc l’échange entre Jésus et les Hérodiens, au sujet de l’impôt dû à César.

Présentons les interlocuteurs de Jésus.

Les Hérodiens sont des partisans du roi Hérode.

Ils collaborent volontiers avec les Romains, non par sympathie mais parce que leur maintien au pouvoir en dépend.

D’autres interlocuteurs de Jésus, les Pharisiens, sont davantage divisés.

La plupart déplorent cette occupation mais ils n’en tirent pas tous la même conséquence.

Certains pensent que l’occupation romaine est une punition divine et qu’il faut donc revenir à Dieu, obéir plus étroitement à sa loi. Alors Dieu pardonnera et chassera les occupants.

D’autres pensent que cette occupation est un moindre mal car elle les protège du pouvoir tyrannique d’Hérode et de sa clique.

Enfin, certains appellent à la révolte armée.

En fait, les Hérodiens et les Pharisiens n’ont qu’un point en commun : ils veulent en finir avec Jésus. Alors, ils lui posent une question piège : Est-il permis, oui ou non, de payer le tribut à César ? Devons-nous payer ou ne pas payer ?

Le tribut était un impôt payé à l’Empire par les sujets des provinces romaines.

Il était le signe le plus concret de la souveraineté de Rome.

Le payer, c’était reconnaître cette souveraineté et la perte de l’indépendance nationale Or, ce renoncement était plus douloureux encore pour Israël que pour n’importe quel Etat.

Car si le maître d’Israël est César, ce n’est donc plus Dieu.

Circonstance aggravante, le tribut devait être payé en monnaie romaine.

Or, les pièces d’argent portaient l’effigie de l’Empereur et une inscription du type : « Tibère, fils du divin Auguste ».

L’effigie comme l’inscription étaient choquantes pour les juifs. En payant le tribut, ils avaient le sentiment de participer au culte impérial et d’accepter une forme d’idolâtrie.

Cette question agitait donc les consciences.

Vers l’an 6, lors du recensement de Quirinius, Judas le Galiléen avait appelé ses concitoyens à refuser de payer l’impôt parce qu’Israël ne devait avoir d’autre roi que Dieu.

Ainsi, le piège est tendu : soit Jésus accepte le paiement de l’impôt et il passe pour un collaborateur et un idolâtre, soit il refuse et peut être dénoncé aux Romains comme rebelle.

La réponse de Jésus est à la fois habile et vraie.

Elle est habile car, en demandant à ses interlocuteurs d’apporter la pièce, Jésus retourne le piège contre eux.

Ils sortent en effet une pièce, montrant par là qu’ils n’ont pas de scrupule à utiliser des pièces romaines avec l’effigie de César et ne se préoccupent que de tendre un piège à Jésus.

Surtout, la réponse de Jésus est vraie.

Même si la question des Hérodiens et des pharisiens n’est qu’un leurre, Jésus désire malgré tout y répondre : « Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui lui appartient ».

Cette sentence est parmi les plus célèbres de la Bible, elle est régulièrement citée, y compris par des non-croyants.

Pendant la guerre d’Algérie, le pasteur Etienne Mathiot est jugé par le tribunal de Belfort pour avoir fait passer un Algérien en Suisse.

Le procureur condamne son attitude en citant la première partie de la parole de Jésus : « Rendez à César ce qui est à César …» et la foule massée dans le tribunal répond « … et à Dieu ce qui est à Dieu ».

Malheureusement, parce qu’elle est très brève, très ramassée, elle a justifié des positions parfaitement contradictoires.

Pour certains, en affirmant qu’il faut « rendre à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu », Jésus sépare radicalement Dieu et César, l’Etat et l’Eglise, le politique et le religieux.

Chacun est institué par Dieu, chacun est voulu par Dieu mais chacun a un rôle spécifique.

L’Eglise annonce l’Evangile et proclame le Royaume de Dieu, l’Etat assure l’ordre et éventuellement la justice et la prospérité.

Tant que l’Eglise ne cherche pas à imposer ses vues à l’État et que l’Etat n’entend pas régner sur les esprits, chacun reste à sa place.

Cette phrase servirait donc de fondement à la laïcité.

D’autres comprennent très différemment cette parole de Jésus.

Il faut rendre à Dieu ce qui lui appartient, l’honneur, l’amour, la louange.

Il faut rendre à César ce qui lui appartient : le rejet voire la haine.

Des chrétiens y ont construit leur rejet du politique et des pouvoirs terrestres.

Pour eux, l’Eglise est alors une arche de Noé qui regroupe les élus, ceux qui sont « sauvés », loin, très loin d’un monde pécheur et condamné à la colère de Dieu.

Ces derniers jours, des chrétiens évangéliques ont ainsi fait circuler sur facebook des appels à ne pas voter pour l’un des deux candidats car tous deux appartiennent, en tant que politiques, à ce monde mauvais.

Enfin, il existe une troisième lecture.  

L’Evangile ne constitue pas un programme politique.

Par exemple, il ne fournit pas de recettes à la crise économique, aux questions écologiques, à la politique européenne, au drame des réfugiés ou aux conditions de leur accueil.

Je ne peux me servir de l’Evangile pour inciter à voter à droite, à gauche … ou au centre.

Par contre, je tire du message évangélique quelques grands principes qui ont des incidences politiques.

Par exemple, si je crois que Dieu est le Père de tous les humains, alors nous constituons une vaste famille humaine et toute séparation ou hiérarchie entre les peuples est sans objet.

De même, si je crois que Dieu est le créateur de l’univers et qu’il l’a créé pour notre bien, alors je dois prendre soin de cette terre, des espèces animales qui y vivent, des humains qui la peuplent, des futures générations qui l’habiteront.

Dernier exemple, puisque Jésus combat la souffrance, qu’elle soit physique, relationnelle, psychique, je dois participer à la construction d’une société qui fasse reculer la souffrance sous toutes ces formes et se préoccupe d’abord des plus fragiles : les femmes qui élèvent seules leurs enfants, ceux qui n’espèrent même plus trouver un travail, les migrants, ceux qui souffrent dans leur corps ou dans leur âme. .

Cette troisième approche me semble respectueuse du message évangélique.

Mais je crois qu’ici, la parole de Jésus va plus loin.

En répondant « Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui lui appartient », Jésus s’oppose à tous ces César qui se prennent pour Dieu.

Tout pouvoir tend à l’idolâtrie.

Partout.

A la tête de l’État comme à la tête de l’Église.

C’est pourquoi les protestants se sont toujours montré prudents envers les abus de pouvoir.

Ils ont donc favorisé les structures collégiales et les contre-pouvoirs.

Le fonctionnement de notre Eglise en est un bon exemple.

L’exercice du pouvoir dans les pays protestants comme la Suisse ou les pays scandinaves également.

L’Evangile nous incite à la prudence face à celles et ceux qui se prennent pour des sauveurs ou des guides, qui exigent soumission et obéissance, et censurent les avis discordants.

Il faut rendre à César ce qui lui appartient … tant qu’il ne se prend pas pour Dieu.

De même, il faut, rendre à Dieu ce qui lui revient.

Les interlocuteurs de Jésus feignent de se demander si, en payant le tribut à César, ils n’offensent pas Dieu.

Ils feraient mieux de se demander s’ils n’offensent pas Dieu par l’ensemble de leur vie, leur égoïsme, leur étroitesse d’esprit, leur rejet de la Parole de Dieu.

Ainsi, Jésus répond « rendez à César ce qui est à César », à la façon d’un Bossuet qui entrant un vendredi chez le Dauphin et, le voyant cacher son assiette pleine de viande, lui dit : « Mangez du veau, Monseigneur, et soyez chrétien ».

Autrement dit, vous pouvez payer le tribut à César comme vous pouvez manger de la viande un vendredi, vous pouvez aussi vous abstenir de le faire ; tout cela n’a pas grande importance.

La vraie question n’est pas là.

La vraie question est la suivante :

Est-ce que vous rendez à Dieu ce qui lui appartient ?

Est-ce que vous le laissez vous conduire ?

Est-ce que vous lui remettez vos projets et vos désirs ?

Est-ce que vous le laissez travailler en vous et vous rendre plus lumineux et plus fraternels ?

Est-ce que vous priez pour l’Eglise et pour le monde ?

Est-ce que vous vous efforcez de vivre votre foi, dans votre famille, sur votre lieu de travail ?

Est-ce que vous vous engagez pour une société accueillante et solidaire ?

Est-ce que vous participez à la vie de cette maison qui a choisi d’être ouverte aux quatre vents ?

Si vous répondez « oui », alors, tout naturellement, vous défendrez des options politiques compatibles avec l’Evangile sans en faire des absolus, vous vous engagerez sans perdre de vue l’essentiel et vous porterez, en toute circonstance, le flambeau de l’Evangile.

Amen !