Espérer ! (dimanche 11 mai 2014)

Dimanche 11 mai 2014

Texte biblique : Jérémie 29,1-14

Quelle espérance pour le peuple hébreu ?

Nous sommes en 587 av JC. Le peuple judéen vient de basculer en exil, les armées babyloniennes ont détruit le Royaume et on mis à sac Jérusalem, en déportant les élites.

Pour ces juifs, exilés à 1500 kms de chez eux, le bouleversement est complet : ils ont perdu leur pays, leur temple, leur liberté, leur travail.

Dieu même semble les avoir abandonnés.

Ils refont le trajet d’Abraham, mais cette fois dans l’autre sens, de la terre promise à Babylone, le pays d’Abraham, comme si l’histoire revenait en arrière, comme si la rivière remontait son cours.

Quelle espérance pour ces exilés ?

Et quelle espérance pour nous ?

Chacun de vous a pu coucher sur le papier le contenu de son espérance.

Certains ont peut-être eu du mal à trouver des espérances collectives.

Car, en ce domaine, nos espérances sont évanescentes.

Des grands rêves ont mobilisé notre société pendant plusieurs siècles : la justice sociale, la prospérité générale ou la liberté.

Ces espérances se sont dissipées.

Nous sommes aujourd’hui le 11 mai 2014. J’ai le souvenir qu’il y a 33 ans, le 10 mai 81, certains espéraient la venue d’une société nouvelle tandis que d’autres craignaient l’apocalypse.

En 2014, Qu’aspirons à devenir, à être ?

Dans notre récit, le prophète Jérémie va, dans un premier temps, fermer deux fausses pistes, car elles conduisent à des impasses, pour les exilés de Babylone comme pour nous.

Première fausse piste, première impasse : nous tourner vers l‘avenir au point d’oublier de vivre.

Certains exilés de Babylone refusent de s’installer, de chercher un travail, de se marier, de vivre.

Ils espèrent tellement retourner à Jérusalem qu’ils fuient dans le rêve ou la nostalgie.

Ils veulent croire que l’exil ne durera pas, que tout redeviendra comme avant, qu’il sera possible de retourner rapidement à Jérusalem pour y reprendre la même vie.

« N’y songe plus » dit le Seigneur.

Et il annonce par la bouche de Jérémie que l’exil va durer longtemps, 70 ans, une vie humaine.

Autrement dit, aucun exilé ne remettra les pieds sur la terre d’Israël. Et même pour leurs descendants, la vie à Jérusalem ne ressemblera en rien à ce qu’elle était, 70 ans avant.

Pour ces réfugiés, l’espérance risque de les détourner de la vie, de la vie réelle.

De même, nous le savons bien :

– au nom de l’espérance en un avenir radieux, des peuples ont été sacrifiés.

– au nom de l’espérance en la résurrection, des croyants ont négligé leur existence terrestre.

– au nom de l‘espérance en une vie meilleure, des individus n’ont pas profité du présent.

Ils attendaient tellement de l’avenir qu’ils en ont oublié de vivre. Ils espéraient tellement une intervention miraculeuse qu’ils ont oublié de prendre en charge leur propre existence.

Blaise Pascal démasque cette duperie de l’espérance : « Nous ne nous tenons jamais au temps présent… C’est que le présent, d’ordinaire, nous blesse. Nous le cachons à notre vue parce qu’il nous afflige ; et s’il nous est agréable, nous regrettons de le voir échapper…

Que chacun examine ses pensées : il les verra toutes occupées au passé ou à l’avenir.

Nous ne pensons presque pas au présent ; et, si nous y pensons, ce n’est que pour en prendra la lumière pour éclairer l’avenir.

Ainsi, nous ne vivons jamais, mais nous espérons de vivre ; et, nous préparant toujours à être heureux, il est inévitable que nous le soyons jamais ».

Ainsi, l’espérance peut nous détourner du présent, nous détourner de nos frères et de nos sœurs, nous détourner du simple bonheur d’exister.

Devant cette impasse, Dieu dit : « Construisez des maisons et habitez-les, plantez des jardins et mangez-en les fruits, prenez femme et ayez des garçons et des filles, soyez soucieux de la prospérité de la ville, intercédez pour elle auprès du Seigneur ».

Dans la Bible, Dieu nous rappelle obstinément l‘urgence de vivre, là où nous sommes, là où nous en sommes, avec ceux qui nous entourent, même si cette vie n’est pas celle que nous avions rêvée.

Il ne s’agit pas seulement de sagesse, d’apprendre à aimer la vie telle qu’elle est. Il s’agit surtout de vivre avec ceux qui nous entourent, d’aimer ceux qui nous entourent, de participer à la vie de la société, d’oeuvrer dans l’Eglise, telle qu’elle est, sans nous noyer dans le rêve.

 

La seconde fausse piste part dans le sens opposé : elle consiste à rester englué dans le présent.

A vue humaine, pour les exilés à Babylone, il n’y a aucun espoir de retourner à Jérusalem.

Le rapport de force est trop défavorable. Alors, certains exilés abandonnent leur culture hébraïque, abandonnent leur foi en Dieu et se tournent vers Babylone, sa culture, ses dieux.

D’autres se réfugient dans la nostalgie.

Le psaume 137 fait écho à cette nostalgie désespérée : « Là bas, au bord des fleuves de Babylone, nous restions assis, éplorés, en pensant à Sion … Si je t’oublie Jérusalem, que ma droite t’oublie ». ».   

Pendant des siècles, nous attendions tellement de l‘avenir que nous sacrifions le présent.

Actuellement, nous avons tellement peur de l‘avenir que nous restons focalisés sur le présent.

Ecoutons Camus : « Le désespoir voulant éviter des déceptions, il en reste sur le terrain de la réalité, en faisons de nous des hommes qui pensent clair et n’espèrent plus ».

Collectivement, nous n’espérons plus dans la politique… même notre dernière utopie politique, l’Europe, ne nous inspire plus vraiment.

Nous n’espérons plus que la science et l’instruction permettront à nos enfants de vivre dans un monde meilleur, plus pacifique, plus fraternel.

Individuellement, nous nous plongeons dans la suractivité et le divertissement pour oublier la peur du vieillissement et de la mort.

Et pourtant !

Comme les exilés à Babylone, nous sommes au bénéfice d’une promesse.

Promesse pour notre monde, notre Eglise, notre vie.

Promesse que Dieu nous fait.

«Je vais vous donner un avenir et une espérance » promet-il aux exilés à Babylone.

C’est ici autour de la promesse, autour de l’engagement pris par Dieu, que repose la différence entre l’espoir et l’espérance.

L’espoir dépend de la situation présente.

A partir du présent, j’envisage l’avenir.

Par exemple, j’ai l‘espoir de mieux comrpendr ele livre de l’Apocalypse ou de mieux réussir un jour à courdre un bouton; par contre, mon espoir de devenir champion d’haltérophilie est assez limité.

L’espérance inverse la logique.

C’est à partir de l’avenir qu’elle envisage le présent.

Comme l’écrit Moltmann : « l’espérance vient éclairer, non pas notre réalité mais la réalité qui vient. Elle ne veut pas suivre le présent en portant sa traîne mais le précéder en portant le flambeau ».

L’avenir aimante le présent, le tire en avant.

Pour les chrétiens, cette espérance repose sur les promesses de Dieu

Promesse, d’abord, pour notre société.

Oui, je crois que notre monde sera un jour réconcilié et fraternel.

Je le crois parce que Dieu s’y est engagé, je le crois parce qu’en Jésus-Christ, il est entré dans notre histoire.

Je crois que Dieu appelle des femmes et des hommes, les met au service de son projet, les équipe, les arme intérieurement, spirituellement.

Celui qui prend au sérieux ces promesses de Dieu, celui qui fonde sa vie sur ces promesses, est mis en mouvement.

Il ne se laisse pas décourager par ce qu’il voit, vit, subit.

Inlassablement, il crée des brèches, des ouvertures. Et il est profondément réaliste car, en effet, des murs tombent parfois, à la surprise de tous les soi-disants spécialistes.

Alors que nous fêtons le centenaire deu début de la première guerre mondiale et le 70 ème du débarquement en Normandie, qui aurait pu croire que la France et l’Allemagne seraient des pays amis ?

Qui aurait pu croire, il y a 30 ans, que le mur de Berlin tomberait ou que le régime d’apartheid disparaitrait sans guerre civile ni actes de vengeance ?

Espérance d’un monde renouvelé.

Espérance d’une vie renouvelée.

Là encore, ce que nous constatons va à l‘encontre de cette espérance.

Calvin l’exprime mieux que je ne saurai le faire : « La vie éternelle nous est promise mais cependant nous sommes morts. On nous tient propos de la résurrection bienheureuse mais cependant nous nous dégradons. Nous croyons que nous sommes bienheureux et cependant nous sommes couverts de misères infinies…Que ferions-nous là, si nous n’étions appuyés sur l’espérance et si notre entendement au milieu des ténèbres ne s’élevait par dessus tout ce qui est en ce monde, ayant la parole et l’Esprit de Dieu pour guides devant soi ».

Je vieillis, je suis promis à la mort et pourtant, la résurrection est devant moi.

 

S’appuyer sur cette promesse de Dieu, croire en la résurrection n’a pas pour seul objet de rendre la vieillesse et la mort moins redoutables. Cette espérance me met en mouvement.

Un jour, je ressusciterai. Dès aujourd’hui, je peux naître de nouveau.

C’est la troisième forme de notre espérance.

Par la foi, je permets à Dieu de travailler en moi, de m’éclairer sur moi, sur ceux qui m’entourent., de rendre ma vie plus féconde, de grandir.

Oui, quel que soit mon âge et mes accidents de parcours, je peux grandir intérieurement et recevoir dès maintenant les prémices, les premiers fruits de la résurrection et du Royaume de Dieu.

Alors « que le Dieu de l’espérance vous comble de joie et de paix dans la foi, afin que vous débordiez d’espérance par la puissance de l’Esprit Saint ».