En chemin pour Emmaüs…

Dimanche 3 mai 2020

visioculte Zoom

Lectures : Luc 24 / 13 – 35

Prédication :

Ils sont deux. Et ils sont en chemin. En chemin pour Emmaüs – petite bourgade à une trentaine de kilomètres à l’ouest de Jérusalem, mais resté inconnue, non-localisable sur une carte géographique. … Ils ne savent pas encore, ces deux disciples, inconnus eux aussi jusqu’alors, que leur cheminement rendra ce petit village inconnu – existant peut-être seulement dans l’imagination de Luc – célèbre : il se passe des choses chemin faisant, des choses que l’on n’a pas prévues, que l’on n’a pas pu prévoir …

Ils sont deux, « deux d’entre eux » (v 13), comme le précise l’Évangéliste Luc. Il fait allusion au récit précédent : des femmes, qui avaient « accompagné » Jésus « depuis la Galilée » (Luc 24,49.55), ont rapporté, aux autres disciples, la découverte du tombeau vide – et l’annonce de la Résurrection reçu par un ange, un messager de Dieu.

Or, « aux yeux de ceux-ci ces paroles semblèrent un délire » et ils « ne croyaient pas ces femmes » (Luc 24,9-11). …

Ils sont donc, « deux d’entre eux », d’entre ces disciples « hommes » incrédules – et abattus par l’événement, ô combien traumatisant pour eux, de la crucifixion de Jésus, dont ils avaient espéré – comme tous les disciples – qu’il était le Messie, « celui qui allait délivrer Israël » (v 21). …

Et à force de ruminer et de ressasser des souvenirs « ensemble » – c’est-à-dire « entre eux », en « circuit fermé », ils ne peuvent pas « voir », ni entendre autre chose : ils ont vécu les mêmes événements, ont partagé les mêmes souvenirs, pas seulement ceux qu’ils viennent de vivre, mais bien plus anciens encore … Et, comme la plupart d’entre eux, ils viennent sans doute de la même région de Galilée, des mêmes paysages et villages, bref, ils se connaissent depuis fort longtemps.

Ainsi, les paroles et les pensées s’accordent, se ressemblent ce qui est rassurant et bien familier : pas besoin de faire de longs discours, de se donner la peine de longues explications ; on se comprend, sans avoir besoin de tout redire et d’expliquer en longueur et en largeur.

C’est bien commode ainsi et surtout rassurant : on se sent compris par l’autre…

Oui, mais, comment au sein d’une telle familiarité, d’une telle proximité d’esprit et de pensées, une pensée nouvelle, comme celle de la Résurrection, justement, peut-elle faire irruption ? …

Résurrection que rien ni personne n’a pu imaginer !

Résurrection de celui qui vient de se faire crucifier comme le plus commun des brigands – comment peut-il encore être le Messie envoyé par Dieu qui n’a pas empêché cette mort particulièrement infamante et dégradante de celui qui prétendait être son envoyé ?

« Parler de la résurrection de la résurrection du Christ, c’est parler de la puissance paradoxale d’un échec », écrivait le pasteur Élian Cuvillier dans sa huitième chronique du confinement.

Mais revenons à nos deux disciples en chemin qui n’en sont pas encore là. Leur chemin est encore long et ne va pas naturellement déboucher sur une pensée nouvelle, comme celle, inouïe et invraisemblable, de la Résurrection d’un crucifié !

Comment pourrait-ce être possible ? Cela dépasse le cadre de ce qu’eux, ainsi que les autres disciples, pourraient imaginer ! …

« Or, comme ils parlaient et discutaient ensemble, Jésus lui-même les rejoignit et fit route avec eux ; mais leurs yeux étaient empêchés de le reconnaître » (v 15-16).

Le verbe, traduit ici par « rejoindre », évoque une certaine délicatesse. Jésus ne s’impose pas. Il ne leur impose pas non plus sa véritable identité. Il s’approche avec précaution pour faire route avec eux. Aussi leur reste-t-il, encore, inconnu, étranger.

Le troisième homme, comme l’a appelé le pasteur et artiste-peintre Henry Lindegaard dans l’un de ses deux dessins du récit des disciples d’Emmaüs.

Partage-écran du dessin « Le troisième homme » :

Nous y voyons les deux disciples, l’un pense à la croix sur laquelle Jésus fut cloué, l’autre au tombeau où il fut déposé et tous les deux sont tristes, « l’air sombre » comme le précise le récit (v 17).

Cet inconnu, par sa présence, va leur offrir une ouverture pour sortir de leur confinement, du circuit fermé de leurs propres pensées et de leur propre raisonnement. Déjà, une brèche s’ouvre au milieu d’eux, par laquelle arrive un rayon de lumière entourant l’inconnu. Peut-être est-ce le fait de pouvoir raconter à cet homme tout ce qui « s’est passé » à Jérusalem et lui confier aussi leur tristesse et leur désespoir, peut-être sont-ce les paroles qu’il leur adresse ensuite :

« Ne fallait-il pas que le Christ souffrit cela et qu’il entrât dans sa gloire ? Et commençant par Moïse et par les prophètes, il leur expliqua dans toutes les Écritures ce qui le concernait » (versets 26-27) …

Sans doute est-ce les deux à la fois : paroles échangées et partagées qui font que ces deux disciples se sentent rejoints et accueillis au niveau de ce qu’ils vivent dans leur être profond. Le fait de pouvoir mettre leur tristesse et leur déception en mots, et sortir de la répétition, du ressassement de leurs propres mots mortifères. …

C’est le début d’un chemin de résurrection…

Car c’est bien de cela qu’il s’agit : d’un chemin de résurrection sur lequel avancent désormais ces deux disciples  …

Chemin qui, déjà, touche à sa fin, puisqu’ils « approchèrent du village où ils se rendaient… » Mais « lui fit mine d’aller plus loin » (v 28)…

Comme au moment où il les a rejoints, Jésus ne leur impose pas sa présence au moment où ils arrivent à destination. Mais déjà le désir d’aller plus loin ensemble, dans l’échange, dans le partage avec cet inconnu, qui les a rejoints dans leur marche, est plus fort que le ressassement de leurs idées noires :

« Reste avec nous, car le soir vient et la journée déjà est avancée » (v 29).

Ainsi, aux paroles échangées s’ajoute un repas partagé et c’est au moment où l’inconnu prend le pain, prononce une bénédiction et rompt le pain pour le leur donner que, comme le décrit le récit, « leurs yeux furent ouverts et ils le reconnurent » (v 30). …

Cela nous fait, bien-sûr, tout de suite penser à la Sainte Cène.

Cependant, il n’est pas certain que Cléopas et son compagnon aient participé au dernier repas de Jésus avec ses disciples. Le nom de Cléopas n’est pas mentionné sur aucune liste des douze disciples que les évangiles transmettent. … Les Douze leur ont peut-être parlé.

En d’autres occasions, ils ont certainement vu Jésus présider des repas – avec une façon bien particulière de prononcer la bénédiction et de rompre le pain pour qu’il se fasse reconnaître dans ce geste. Dans les évangiles c’est souvent au cours d’un repas que l’Évangile est annoncé. Le plus emblématique d’entre eux est sans doute celui pendant lequel une femme verse sur la tête de Jésus du parfum ce que ce dernier qualifie de geste d’onction pour « l’ensevelissement de son corps » (Marc 14,3-9).

Comme le récit de la Sainte Cène, ce geste évoque la mort de Jésus comme une offrande : « c’est mon corps donné pour vous » (Luc 22,19). …

C’est peut-être cela aussi que Cléopas et son compagnon viennent de comprendre lorsque « leurs yeux furent ouverts et qu’ils le reconnurent » (v 30) : La mort de Jésus sur la croix de Golgotha n’était pas un échec, mais le jusqu’au-bout-du-don-de-Dieu pour l’humanité.

Le signe, que ce n’est pas la mort qui a le dernier mot sur la vie, mais l’Amour. Et pour que ce don de la vie reste un don et ne devienne pas une propriété, Jésus « leur devint invisible » (v 31) au moment même où ils le reconnurent. Mais ils sont, à présent, transformés.

Ils viennent de vivre une expérience de résurrection !

Le cœur brûlant a remplacé « l’air sombre » qu’ils affichaient au début de leur cheminement. « à l’instant même ils partirent et retournèrent à Jérusalem » – d’où ils étaient partis – mais où désormais, tout aura changé. Non pas que les événements aient changé ; Jésus est toujours mort à la croix. Et ils devront eux-mêmes peut-être y affronter la mort ! …

Mais leur regard a changé !

Les verbes qui décrivent leur retour vers Jérusalem, sont ceux qui sont employés aussi pour dire la résurrection et la conversion…

Alors, Rien a changé en apparence – mais pour eux, tout a changé ! …

Henri Lindegaard, le pasteur-peintre, l’a interprété à sa manière, à travers ce dessin et des paroles sous forme d’une prière qui nous invitent à rejoindre à notre tour les disciples d’Emmaüs. Pour prendre la place de celui qui n’a pas de nom et qui ainsi nous permet d’y mettre le nôtre :

« Reste et viens avec nous »

« Seigneur, ton visage d’inconnu est dans l’ombre de la croix et cette ombre, par toi, devient lumière.

Tes pieds sont encore troués, tes mains rompent encore le pain et la coupe déborde.

Et moi, je suis assis devant la fenêtre du monde. Ma droite attend ton pain et ma gauche te retient :

 – Reste avec nous !

Et moi, je suis déjà debout devant la porte du monde. Ma gauche attend ton vin et ma droite ne peut plus te retenir. Par cette porte ouverte je vais partir :

 – Viens avec nous ! »

Amen !

Pasteurs  Jane Stranz, Denis Heller, Andréas Seyboldt