Elie vs Akhab, l’Eternel vs Baal : un combat sur le terrain de la puissance ? (22 mai 2016)

Texte biblique : I Rois 17

gedeon2

« Venez assister au combat du siècle : Baal contre l’Eternel, le champion des Cananéens contre celui d’Israël, le Dieu de la fertilité contre celui de l’alliance !

Qui gagnera ?

Qui sera le plus puissant ?

Faites vos paris ! »

Quelques légers anachronismes mis à part, voilà comment Elie considère la foi : un match, un combat, une compétition entre deux divinités.

A ma gauche, « Baal », un nom commun signifiant « seigneur ».

Baal est une divinité des Cananéens, dieu de la pluie et de la fertilité, de la foudre et de la fécondité.

Il est adoré depuis des siècles et pour plusieurs siècles encore, par les Cananéens, puis les Carthaginois, comme l’attestent les noms de leurs grands chefs de guerre,tel que « Hannibal ». Un Empereur romain sera même grand prêtre de Baal.

Baal n’est pas seulement suivi par des peuples étrangers ; il séduit également de nombreux juifs. Pire encore, la royauté donne le mauvais exemple.

Ainsi, le roi Akhab et sa femme Jézabel veulent asseoir leur pouvoir en s’appuyant sur le culte de Baal.  

Face à cette divinité, si séduisante, Elie, le prophète de Galaad, défend l’Eternel, le Dieu d’Abraham, Isaac, Jacob, le Dieu de l’alliance, le Dieu d’Israël.

Elie se veut le champion de l’Eternel.

Comme tous les croyants de son temps, Elie n’est pas vraiment monothéiste. Il ne croit pas forcément que Dieu soit la seule divinité existante. Par contre, il est fermement convaincu que l’Eternel est le seul dieu qu’Israël doive suivre.

Poussé par son zèle, et sans que Dieu lui ait demandé de le faire, Elie lance un défi au roi Akhab : « Par la vie du Seigneur, le Dieu d’Israël au service duquel je suis, il n’y aura, ces années-ci ni rosée ni pluie, sinon quand je l’aurai dit »

Nous voici devant une double confrontation : Elie contre Akhab, Baal contre l’Eternel.

Car, ne nous y trompons pas, la sécheresse annoncée par Elie n’est pas une punition divine ; c’est le terrain choisi par Elie pour l’affrontement entre deux divinités.

Sciemment, Elie attaque l’adversaire sur son point fort: la fertilité, la fécondité.

Si l’Eternel provoque une sécheresse et que Baal est incapable de faire revenir la pluie, alors la preuve sera faite que l’Eternel est plus fort que Baal et que c’est vers lui qu’il faut se tourner.

Elie veut la confrontation et il enrôle l’Eternel dans ce combat.

Le seul problème … c’est que l’Eternel ne lui a rien demandé.

Il ne lui pas demandé d’aller voir le roi et de lui lancer un défi.

Il ne lui a pas demandé de susciter une sécheresse pour faire plier un peuple rebelle.

Dieu attend autre chose d’un prophète.

Il attend autre chose d’Elie.

Alors,pour la première fois de ce récit, Dieu intervient.

Elie doit s’éloigner de Jérusalem et de ce roi qu’il a provoqué .

Alors Dieu l’envoie près du torrent de Kerith, pour un temps de « retraite », dans un endroit désert, « ravitaillé par les corbeaux », où il pourra prendre du recul, méditer, se retrouver seul avec lui-même et avec son Dieu.

Pour découvrir le Dieu vivant, Elie a besoin d’être déplacé, géographiquement et intérieurement.

Dans deux semaines, nous fêterons les 80 ans de la MDJ autour du thème « D’ici et d’ailleurs ».

Spontanément, en attendant cet intitulé, nous pensons à la rencontre entre des personnes d’origines différentes, aux migrants ou à des séjours exotiques.

Mais « l’ici et l’ailleurs » peuvent être intérieurs.

La foi nous déplace intérieurement, nous fait voir autrement notre vie et notre monde, un peu comme quelqu’un qui revient d’un voyage et observe différemment le quartier où il vit.

Ici, les deux sont reliés.

Le prophète Elie est déplacé géographiquement pour être déplacé intérieurement.

Dieu lui donne ce dont il a le plus besoin : un temps de retraite, de solitude, de méditation intérieure.

Puis, parce que le but d’une retraite est de nous ressourcer mais pas de nous évader du monde, Elie est envoyé à Sarepta, sur la côte méditerranéenne, auprès d’une veuve.

Cette veuve est une femme pauvre, si pauvre même qu’elle ne peut subvenir à ses besoins et à ceux de son fils.

Alors, elle prépare son dernier repas avant de se laisser mourir de faim.

C’est pourtant vers cette femme qu’Elie est envoyé.

Plus extraordinaire encore, c’est à cette femme qu’il doit demander assistance car il est encore plus démuni qu’elle.

Elie rêvait d’un duel au sommet avec le roi Akhab et d’un affrontement entre deux divinités sur le terrain de la puissance. Il fait une rencontre apparemment insignifiante avec une pauvre femme.

Il se rêvait en héros d’Israël, il est chez une étrangère.

Il se pensait tout puissant, il dépend d’une femme misérable.

Alors, dans cette situation, enfin, Dieu agit.

La jarre d’huile et la cruche de farine ne désemplissent plus.

Elie, la femme de Sarepta et son fils peuvent se rassasier.

Puis, Elie guérit le fils de la veuve.

Il s’agit bien de miracles mais pas de ceux qu’Elie invoquait.

Nous sommes bien loin d’une guerre sainte ou d’une victoire sur des adeptes d »une autre religion.

Le Seigneur l’a conduit là où il devait être : loin des lieux de pouvoir, près de ceux qui ont besoin de la tendresse et de la bonté de Dieu.

C’est là qu’est sa place.

C’est là qu’il peut être témoin de l’Eternel.

C’est là qu’une parole de foi peut s’exprimer.

« Oui » dit la veuve, « maintenant, je sais que tu es un homme de Dieu et que la Parole du Seigneur est vraiment dans ta bouche ».

Elie recherchait la confrontation, la gloire de Dieu, la sienne aussi peut-être.

Il faisait de l’Eternel une divinité plus puissante que Baal mais finalement semblable à elle.

Le Seigneur l’a déplacé, il l’a envoyé ailleurs, dans une situation humaine réelle, au coeur de l’existence des plus faibles.

Plus que tout autre passage de la Bible, ce texte le manifeste : avant de chercher à convertir, un croyant doit se laisser convertir, laisser Dieu travailler en lui, « besogner en lui» comme l’écrivait Calvin.

Elie rêve de convertir alors qu’il doit sans cesse se laisser convertir, par la Parole de Dieu.

C’est pourquoi ce prophète peut nous servir, à la fois, de modèle et de mise en garde.

D’abord de modèle.

Elie est un modèle par la force de sa foi.

Il se trompe souvent, il tend à manipuler Dieu, il se plaint, il tempête, il commet des erreurs voire des crimes, mais il s’engage avec Dieu, de toutes ses forces, de tout son être.

« Je suis passionné par le Seigneur » dit-il.

Qui d’entre nous peut dire la même chose ?

Qui vit sa foi avec la même intensité ?

Elie se consacre entièrement à Dieu.

Et nous ?

Dans les décisions que nous prenons, quelle place laissons-nous à Dieu ?

Dans les orientations que nous donnons à notre existence, quelle place laissons-nous à Dieu ?

Dans ce pour quoi nous nous mobilisons, quelle place laissons-nous à Dieu ?

Et même, pour nous provoquer un peu, dans la vie de cette maison, quelle place laissons-nous à Dieu ?

Ainsi, la vigueur de la foi d’Elie questionne utilement la mollesse de la nôtre.

Elle nous sert aussi de mise en garde.

Car ce passionné du Seigneur doit aussi apprendre à canaliser ce zèle pour le mettre au service des plus petits et des plus fragiles et non pour entrer dans un conflit de puissance.

Et ce n’est pas une petite affaire pour lui !

Elie doit opérer une véritable révolution intérieure, qui ne se fera pas en une seule fois, nous le verrons au cours des prochains dimanches.

Il lui faudra trois rencontres, trois événements pour que l’image du dieu de la puissance et de la confrontation s’efface en lui et laisse la place au Dieu de l’alliance.

Comme Elie, nous sommes confrontés à différentes façons de vivre et de croire.

Il y a les autres religions : le judaïsme, le bouddhisme, l’islam.

Il y a surtout l’idéologie de la réussite, si forte aujourd’hui, qui ne valide que ce qui augmente le bien-être ou la performance.

Ce mode de pensée est tellement dominant qu’il sert de grille d’évaluation à toute chose, y compris le domaine religieux.

Pour prendre deux exemples, le bouddhisme est à la mode parce qu’il servirait à l’épanouissement personnel ou augmenterait les performances en entreprise.

Par contre, il est reproché au christianisme de brider l’épanouissement personnel.

Dans ce climat de concurrence, le risque est grand d’agir comme Elie et de combattre les autres modes de pensée ou religions sur leur terrain et non sur celui de l’Evangile.

Le risque est grand de vouloir prouver que Jésus est le plus fort des thérapeutes, le plus grand des guérisseurs ou le meilleur guide pour réussir dans la vie … comme on voulait prouver dans les années 60 qu’il était le premier communiste.

En Corée, au Brésil, mais aussi en Région parisienne, une aile extrémiste du protestantisme emploie semblable argument et relie conversion et succès, baptême et richesse.

Cette « théologie de la prospérité » se développe et prétend faire gagner aux fidèles plus d’argent que des conseillers financiers et plus de succès en amour que les meilleurs thérapeutes conjugaux

Bien entendu, nous ne sommes pas ici menacés par cette dérive.

Mais parfois nous rêvons que nos Eglises soient plus riches, plus médiatiques, plus visibles.

Pourtant, je suis convaincu que nous n’avons pas à concurrencer ces idéologies sur leurs terrains, ceux de la puissance, du développement personnel ou de la croissance mais sur celui de l’Evangile, de la Bonne Nouvelle.

Bonne Nouvelle d’un Dieu qui se tourne vers nous.

Bonne Nouvelle d’un pardon toujours offert.

Bonne Nouvelle qui suscite en retour notre foi.

Bonne nouvelle qui nous tourne vers notre prochain.

Bonne Nouvelle qui fait de ce prochain, non un concurrent potentiel mais un partenaire .

Comme Elie, c’est sur ce terrain que l’Eternel nous déplace.

Car c’est là que des miracles peuvent se vivre : miracle du partage, de la fraternité de l’entraide, de la guérison intérieure.

C’est là que des confessions de foi authentiques peuvent surgir.

Alors laissons-nous déplacer par la parole de Dieu.

Laissons cette Parole nous déplacer au calme, dans la solitude, afin de développer notre vie intérieure et de laisser grandir en nous la présence de Dieu.

Laissons cette Parole nous rendre disponibles à la rencontre et au service.

Laissons cette Parole nous confronter à la dépendance et à la fragilité pour que la puissance de Dieu puisse se manifester.

Laissons cette Parole faire de nous, ni des tièdes qui ne savent pas s’ils croient ou pas, ni des intégristes décidés à parler à la place de Dieu mais un miroir reflétant la bonté, la puissance et la tendresse de Dieu.

Amen !