Du «pain venu du ciel»…

Dimanche 14 juin 2020 à 10 h 30 et 18 h

culte sans Cène, en présentiel au Centre 72

Lectures : Jean 6, 51 – 58 ; Deutéronome 8, 1–16 ; 1 Corinthiens 10, 16-17

Prédication :

Quelle joie de pouvoir de nouveau se retrouver au restaurant, autour d’une table, entre amis ou en famille !

Et, ce n’est effectivement, pas seulement la nourriture au sens matériel qui nous attire, qui nous fait envie pour ces rendez-vous culinaires !

ET, comme nous le voyons, rien qu’avec les textes de lectures de ce dimanche-semaine deux après la réouverture des restaurants : les repas en commun, le « manger ensemble », nous nourrissent bien plus profondément, plus complètement (« repas complet ! ») que la nourriture consommée individuellement. …

Vous l’avez probablement déjà entendu à d’autres occasions : dans la Bible, il y a davantage de repas que des prières (3 x plus d’après un collègue qui s’est amusé de compter et qui est, par ailleurs, un bon cuisinier ! ) …

Jésus même aimait se mettre à table – avec ses disciples et il n’a jamais refusé une invitation au repas que l’on lui a adressé.

À tel point qu’il utilise l’image (la métaphore ?) du repas dans ses paraboles pour parler du Royaume des Cieux. Comme celle d’un homme qui invite à un « grand dîner » (Luc 14, 15 – 24 ; repas de noces dans Matthieu 22, 1 – 10). …

D’où vient cette association du « repas » et du « Royaume » ? De la nourriture matérielle et de la nourriture spirituelle ?

D’un point de vue biologique/physique de l’humain, il est évident que la bouche nous sert à la fois pour manger et pour parler.

La langue est cet organe de notre corps qui a une fonction essentielle, à la fois, pour prendre et avaler la nourriture et pour parler.

Dans notre bouche et grâce à notre langue, nourriture matérielle et spirituelle, pain et parole, sont intimement et inévitablement associés : ce qui nous nourrit dans un repas entre amis ou en famille, ne sont pas seulement les différents plats servis, mais aussi, et peut-être d’avantage encore – les paroles échangées …

… ce qui, toutefois, n’autorise pas de « parler la bouche pleine » ! …

Dans la Bible, une longue tradition et des multiples récits et de nombreux passages évoquent l’importance du repas comme moment de rencontres privilégiées avec Dieu (p. ex. Abraham qui offre aux messagers de Dieu un repas au cours duquel il reçoit une promesse…).

Notre texte de Deutéronome évoque comment Dieu a nourri son peuple avec du « pain venu du ciel », appelé « la manne » – de l’hébreu « mân hou » : ce qui se traduit par (la question) : « Qu’est-ce que c’est ? »

Le récit, dans le livre de l’Exode (Ex.16,15 – 35), précise que cela ressemble à « de la graine de coriandre, c’était blanc, avec un goût de beignets au miel » (Ex.16,31).

Selon le Livre des Nombres, cette manne ne représente cependant que peu de choses au regard des « concombres, des pastèques, des poireaux, des oignons et de l’ail » qui se trouvaient à dispositions du peuple en Égypte (Nombre 11,5-6).

Elle est en effet qualifiée de « pain de misère » (en Nombres 21,5).

Pourtant, ce « pain de misère » devient le « pain des forts » en Psaume 78,25. Il est même appelé « pain des cieux » en Psaume 105,40.

Dans d’autres passages du Premier Testament, il est associé au « don de la Loi », c’est-à-dire de la Parole de Dieu. (Le livre de la Sagesse franchit un pas de plus en affirmant qu’au désert, Dieu a distribué à son peuple une nourriture d’anges en lui dispensant, du ciel, un pain tout préparé, capable de procurer toute saveur, adapté et adaptable au goût de tous et de chacun, et manifestation de la douceur qui est la sienne à l’endroit de ses enfants (Sagesse 16,20-21).

Pas étonnant que dans notre passage en Deutéronome 8, se trouve ce verset, repris et par Jésus pour contrer la tentation du diable

(dans Matthieu 4,4 et Luc 4,4) : « L’homme ne vit pas de pain seulement, mais … de tout ce qui sort de la bouche du SEIGNEUR » (Dtn.8,3).

Le repas partagé, donc, moment de rencontre particulière avec Dieu qui nous offre, à la fois, nourriture matérielle et spirituelle.

Et peu importe si le « pain partagé » ressemble davantage à un « pain de misère » qu’à des mets raffinés : il contient une promesse de vie, de douceur, d’amour de Dieu à notre égard qui nous fait vivre et nous unit les uns aux autres dans un lien d’amitié et d’amour véritable. « Mieux vaut un morceau de pain sec et la tranquillité qu’une maison pleine de festins à disputes » (Proverbes 17,1)

Cela nous fait penser en particulier, bien-sûr, au repas chrétien par excellence des chrétiens : la Sainte Cène ! Nous en sommes privés depuis deux mois et demi et dont la célébration commune et matérielle nous manquent !

(Selon un sondage que nous avions réalisé avec vous dans le cadre du remaniement de notre liturgie du culte, vous avez en grande majorité indiqué l’importance que vous accordez à la célébration de la Cène à chaque culte) …

Je peux, à ce sujet, d’ailleurs vous consoler aujourd’hui : au culte dimanche prochain, nous célébrerons de nouveau la Sainte Cène ici ensemble ! …

Le passage de l’Évangile de Jean que nous avons lu, en donne un sens approfondi – en même temps difficile à comprendre et à accepter, notamment, dans ces versets où Jésus dit : « …si vous ne mangez pas la chair du Fils de l’homme et si vous ne buvez pas son sang, vous n’avez pas de vie en vous » (Jean 6,53).

Imaginons un instant qu’un non-chrétien : juif, musulman, bouddhiste, hindou, athée – ou même l’humain « civilisé » tout court que nous sommes aussi aujourd’hui, lit ou entend ces versets… Comment ne pas y entendre une pratique de cannibalisme de ces « premiers chrétiens » ? …

Et même eux – membres de la communauté chrétienne pour laquelle Jean écrit son Évangile – avaient, visiblement quelques difficultés à comprendre et apprécier ces dires – comme nous l’apprenons dans les versets qui suivent notre passage : « Cette parole est dure ; qui peut l’entendre ? … Dès lors, beaucoup de ses disciples s’en retournèrent ; ils ne marchaient plus avec lui » (Jean 6, 60.66).

Pour l’Évangéliste Jean, le « pain de Dieu », non seulement « descend du ciel » comme la manne pour les hébreux, mais il s’incarne, il « prend chair » en Jésus, le Christ. …

Et c’est cette « chair » qu’il faut maintenant ingurgiter, « mâcher, croquer » (c’est ce qu’exprime le verbe grec traduit dans noter texte par « manger », en quelque sorte « incorporer »

Pourquoi cette insistance à s’offrir en nourriture ?

Sans doute parce que, dans la logique du vivant, manger est le moyen le plus sûr d’incorporer.

Je peux déchiffrer l’Évangile et le laisser, ensuite, inerte sur mon bureau pour vaquer à d’autres occupations.

Je peux écouter l’Évangile et laisser ses mots flotter à la surface de mes pensées.

Je pourrais apprendre par cœur l’Évangile, mais alors je pourrais l’oublier, comme j’ai fini par oublier de nombreuses leçons apprises sur les bancs de l’école.

Je pourrais même aller jusqu’à comprendre l’Évangile sans encore, pourtant, l’incorporer.

Or, « incorporer le Christ et sa Parole, ce n’est pas seulement écouter, apprendre, interpréter. C’est goûter l’Évangile, le mâcher, le ruminer, l’absorber, l’assimiler ; c’est le faire descendre de la tête aux entrailles, c’est passer de la compréhension au tressaillement de nos tréfonds », écrit Marion-Muller Colard dans Éclats d’Évangile.

Et, peut-être, la meilleure façon « d’incorporer le Christ » est la prière, p.ex. celle-là :

T’incorporer.

Non pas seulement te comprendre, mais t’assimiler à chaque cellule de mon être.

Non pas seulement te savoir, mais te connaître par l’esprit, par le cœur, par le corps.

Tisser du fil solide de ta Parole chaque pan de ma vie précaire jusqu’à ce que ton nom monte à mes lèvres comme une musique familière.

T’intégrer au noyau intime de ma vie aux heures fluides du jour nouveau.

Et si je viens à t’oublier, que ce soit dans mes veines que circule l’évidence de ta Présence.

Amen.