Déraciner et planter : la vocation de Jérémie (dimanche 6 octobre 2013)

Texte biblique : Jérémie 1, 1-10

 

Qu’est-ce qu’un prophète ?

Quelle est sa raison d’être ?

Et comment pouvons-nous, en 2013, marcher dans les pas de ces prophètes d’Israël, qui ont parlé dans un tout autre contexte ?

Pour répondre à ces questions, nous allons suivre trois prophètes, au cours de cette année : Jérémie, Elie, Jonas, en commençant par Jérémie.

Lorsque Jérémie prend la parole pour la première fois, nous sommes en 627… avant Jésus-Christ.

Josias règne depuis 13 années.

Il est le dernier grand roi du Royaume de Juda.

En 622, il ordonne des travaux de consolidation du Temple.

A cette occasion, les ouvriers découvrent, enfouis dans les sous-sols du Temple, un manuscrit contenant des récits et des lois du peuple juif.

On l’appellera la « deuxième loi », « deutéronome » en grec, cinquième livre de la Torah.

Suite à cette découverte, Josias ébauche une grande réforme religieuse, destinée à remettre le peuple sur de bons rails spirituels.

Réforme spectaculaire mais sans lendemain.

Sous Josias, le peuple juif balance entre son désir de revenir à Dieu et son souhait de vivre comme les autres peuples.

Le Royaume balance également entre deux alliances diplomatiques : coincé entre deux géants, l’Egypte et Babylone, il hésite longtemps avant de faire le mauvais choix et de s’allier à l’Egypte, la puissance déclinante.

La situation personnelle de Jérémie est aussi troublée.

Apparemment, tout est tranquille.

Jérémie vit avec ses parents, à quelques kilomètres de Jérusalem, dans une petite bourgade.

Il est issu d’une famille de prêtres.

Son père possède une maison, des champs, des troupeaux.

Il mène une vie semblable à celle des autres cultivateurs si ce n’est qu’il se rend à Jérusalem, deux à trois fois par an, pour accomplir ses devoirs sacrés. Durant une semaine, il pratique des sacrifices, il chante, il veille, il prie. Et il rentre chez lui, porté par ces rites rassurants.

Tout semble paisible si ce n’est que cette famille porte en elle une blessure.

Il y a quatre cents ans, leur ancêtre, Ebiatar, a trempé dans un complot contre Salomon.

Depuis, ses descendants sont relégués à Anatot. Ils n’ont pas le droit de s’installer ailleurs ; plus grave, ils ne peuvent pratiquer dans le Temple de Jérusalem.

Ainsi, en tant que fils de prêtre, Jérémie est au centre de la foi d’Israël et en tant que descendant d’Ebiatar, il est exclu, mis à part.

Ainsi, Jérémie est au cœur de nombreuses tensions : spirituelles, diplomatiques et personnelles.

Et ses oracles, ses prophéties, ses faits et gestes reflèteront inévitablement ce contexte.

La Parole de Dieu est toujours reçue, vécue et transmise par des hommes, dans un certain contexte national, spirituel, familial, personnel.

Hier comme aujourd’hui.

Et plus nous en sommes conscients, plus nous savons qu’en communiquant notre foi, nous communiquons une part de notre époque et une part de nous-même, et plus nous pouvons transmettre honnêtement cette Parole. 

D’ailleurs, Dieu, lui-même, tient compte du contexte.

Il adapte son message à la situation et il se sert de ce que nous sommes.

« Je t’ai mis à part » dit-il à Jérémie.

Tu étais mis à part et exclu comme descendant d’Ebiatar. Moi, le Seigneur, je te mets à part, mais cette fois pour t’inclure dans mon projet et faire de toi mon serviteur.

Je te mets à part comme je l’ai fait avant toi avec Moïse, ou le prophète Samuel.

Je te mets à part … car je te connais.

Je connais ta situation personnelle, ton histoire et celle de tes ancêtres, tes tensions et tes blessures personnelles, et, parce que je te connais, je mettrai ces éléments qui font partie de toi au service de mon projet de salut.

Ce que Dieu dit à Jérémie, il nous le dit aujourd’hui.

Dieu nous connait ; il tient compte de ce que nous sommes, de nos aspirations, de nos fragilités, de notre sensibilité, de notre énergie. Il entend les mettre au service de sa Parole, pour que cette Parole prenne de la chair, pour qu’elle soit vécue et reçue par d’autres.

Ne dis donc pas : « Je suis trop occupé », « je ne connais pas assez bien la Bible », « je suis trop jeune ou trop vieux », « je suis déjà investi ailleurs »; « je ne suis pas assez sûr de ma foi ».

Avec ce que tu es, avec ce que tu vis, tu peux vivre et transmettre l’Evangile.

Mieux même, Dieu peut se servir de ta foi, de ton dynamisme et de ton intelligence, mais aussi de tes accidents de parcours, de tes doutes et de tes failles.

Combien de belles fleurs poussent dans des fissures de murs !

Venons-en maintenant au contenu du message transmis à Jérémie.

Ce message est structuré en six verbes, regroupés deux par deux : déraciner et renverser, ruiner et démolir, bâtir et planter.

Quatre verbes négatifs pour deux positifs.

Quatre verbes négatifs car le prophète ne flatte pas, il est à contre-courant, à « rebrousse poils ».

Comme le disait Karl Barth, « le prophète ne hurle jamais avec les loups ».

Il alerte, menace et proteste, surtout lorsque le peuple se croit en sécurité. Et il le fait toujours dans l’espoir de susciter une réaction.

Lorsqu’il annonce une catastrophe, le prophète espère toujours se tromper.

Qu’est ce que Jérémie doit déraciner, détruire, renverser et démolir ?

Les illusions diplomatiques d’un Royaume de Juda qui espère s’en sortir par une alliance avec l’Egypte

L’idolâtrie et le paganisme des croyants qui rendent un culte à Baal, Dieu de la fertilité et continuent à se suivre béatement les horoscopes et les voyants

La désespérance des futurs exilés à Babylone qui pensent que Dieu les a définitivement abandonnés

Le confort religieux de ceux pour qui les rites remplacent la foi et l’éthique.

Aujourd’hui, le contexte a changé et les périls ne sont pas les mêmes.

Mais, comme Jérémie, nous avons pour vocation et responsabilité de dénoncer ce qui abime, détruit et éloigne de Dieu : l’idolâtrie de la race ou de l’argent, l’intégrisme religieux et la paresse spirituelle, la tentation de trouver des boucs émissaires, l’aveuglement devant les risques écologiques, la désespérance de ceux qui n’attendent plus rien de bon pour le monde, leur pays, leur Eglise, leur vie personnelle.

Mais, prenons garde !

Nous sommes fidèles à Jésus-Christ lorsque nous dénonçons des impostures et des infidélités, non pour critiquer du haut de notre tour d’ivoire, mais pour qu’un changement s’opère, que des existences soient transformées, que l’espérance éclaire des vies.

Quatre verbes négatifs et deux positifs : bâtir et planter.

Jérémie ne se contente pas d’avertir et de menacer.

Il est porteur d’une bonne nouvelle : Dieu n’abandonne pas son peuple, Dieu a toujours un projet pour ses enfants et c’est un projet de bonheur.

Inlassablement, il revient vers eux.

Inlassablement, il leur propose une vie nouvelle.

Là encore, nous sommes fidèles au message prophétique et à Jésus-Christ lorsque nous partageons cet amour de Dieu avec ceux qui n’y croient plus, ceux qui ne s’en sentent pas dignes, ceux qui ont le sentiment de rater leur vie et d’être responsables de cet échec.

Jérémie sera qualifié de « prophète d’espérance ».

Il bâtira et construira cette espérance au cœur du peuple juif, cette tranquille assurance que notre monde n’est pas abandonné, qu’il être toujours possible de vivre, et de croire et que le plus beau est à venir…. même en exil, à Babylone.

Message d’espérance à relayer aujourd’hui, et d’abord auprès de ceux qui souffrent d’un exil; exil géographique parce qu’ils ont changé de pays et se sentent étrangers en France comme dans leur pays d’origine; exil intérieur parce que leur vie a subi une rupture majeure : une séparation, un chômage de longue durée, un deuil, une maladie invalidante, exil culturel parce qu’ils ne reconnaissent plus la société dans laquelle ils vivent et s’y sentent tout à fait étrangers.

Oui, aux uns et aux autres, transmettons un message d’espérance : dans l’avenir, dans votre avenir, Dieu sera là, Dieu agira, Dieu vous accompagnera.

Ainsi, à Jérémie comme à nous, Dieu confie la mission d’avertir et de réconforter.

Trois attitudes nous y conduiront.

  • D’abord, devenir veilleur.

Veiller, c’est prendre soin.

Dieu veille sur son peuple et nous demande de faire de même.

Mais « veiller »  a un autre sens et Dieu le fait comprendre à l’aide d’une branche d’amandier.

En hébreu, « amandier » se dit « veilleur ».

Etant le premier arbre à fleurir, en début d’année, l’amandier « veille » l’arrivée du printemps.

Il « sent », avant les autres, que l’hiver s’achève.

Avec l’aide de Dieu, Jérémie sera un veilleur ; il annoncera en plein exil que Dieu n’a pas abandonné son peuple.

Puissions-nous être nous-aussi des veilleurs.

  • Jérémie est profondément solidaire de son peuple.

Il ne se contente pas de transmettre une Parole puis de s’en laver les mains. Il s’engage de tout son être pour que cette Parole ait de l’effet et que les catastrophes annoncées soient évitées.

De même, en tant que chrétiens, il ne suffit pas d’avertir ou de consoler, de loin.

Nous sommes profondément solidaires du monde dans lequel nous vivons, nous sommes profondément engagés dans le combat contre le mal, la désespérance ou l’idolâtrie, d’abord parce que ce mal, cette désespérance et cette idolâtrie font aussi partie de nous.

Il n’est de prophètes qu’engagés.

  • Cet engagement n’est pas seulement social, il est aussi spirituel.

Les rabbins racontent que le père spirituel des juifs est Abraham et pas Noé.

Pourquoi ?

Parce qu’Abraham prie Dieu, intercède, voire marchande avec Lui, tandis que Noé écoute son Créateur, et lui obéit passivement, sans chercher à épargner les hommes du Déluge.

Jérémie va mener cette lutte spirituelle.

Il va crier à Dieu, écouter, protester, intercéder, marchander.

Jésus fera de même tout au long de sa vie et jusqu’à sa mort sur la croix.

Nous leur serons fidèles en nous engageant dans ce combat spirituel. En priant, intercédant, en questionnant Dieu.

Oui, je te connais et je t’ai mis à part.

Alors, va, vis et annonce l’Evangile

Amen !