CULTE POUR LES ENDEUILLES: Marc 4, 35 à 5, 20

Culte du 10 novembre 2019

Le soir de ce même jour, Jésus leur dit : Passons sur l’autre rive.

Ce verset accompagne parfois un faire-part de décès. Passons sur l’autre rive.

Il signifie tout à la fois la séparation, la rupture, mais aussi la confiance parce que le Seigneur est là, présent dans cet au-delà, cette autre rive.

Il y a quelque chose de paisible dans ce verset, partagé entre la tristesse et une douce espérance.

N’est-ce pas le Seigneur Jésus qui lui-même donne cet ordre à ses disciples ?

Ne maîtrise-t-il pas les temps et les lieux de la séparation ?

Si c’est lui qui commande, alors tout est bien, suis-je tentée de penser….

Et c’est vrai, certaines morts sont paisibles, certains mourants ont attendu avec gratitude l’instant qui viendrait clore une vie rassasiée de jours.

Et si les vivants sont dans la peine de la séparation, la reconnaissance de ce qui a été vécu ensemble prend petit à petit le pas sur le deuil.

Toutefois, dans nos vies, bien des morts n’ont pas été vécues dans cette paix et cette « douce espérance », bien des drames ne nous ont pas trouvés confiants et enracinés dans la foi.

Et c’est justement ce que ces récits baroques de l’Évangile de Marc, que nous venons d’entendre, nous racontent : le chaos, la terreur, la peur de mourir, l’enfermement, la perte du sens commun.

Si on revient en arrière dans le récit, on voit Jésus qui accomplit des miracles, des guérisons.

Puis il se choisit 12 disciples, et tout de suite il commence à enseigner.

Il y a tant de gens pressés d’entendre son enseignement qu’il doit monter dans cette fameuse barque pour parler. Il parle, raconte des paraboles et le soir venu, dit à ses disciples de passer sur l’autre rive. C’est alors que se situe cette drôle de parenthèse extrêmement pittoresque, avec une tempête apaisée et un démoniaque à faire dresser les cheveux sur la tête, et puis, retour à l’envoyeur…

Les disciples ramènent la barque de l’autre côté où la foule se rassemble de nouveau et où Jésus va accomplir des miracles beaucoup plus corrects. On aurait pu aussi bien couper ce passage et dire, après la nuit, le lendemain, la foule revient autour de la barque…

Mais il y a cette traversée, cet épisode qui nous jette dans l’irrationnel, dans le chaos.

Et aujourd’hui, je vais tenter avec vous la traversée de ce chaos.

Loin de l’imaginaire paisible que ce verset bien connu évoque « Jésus dit : passons sur l’autre rive », la traversée, sur mer et sur terre, va s’avérer une descente aux enfers.

Vous savez un peu comme les films d’horreur. On voit au début du film la famille idéale, le gentil papa, la jolie maman, le petit gamin mignon comme tout. Ils partent en vacances, il fait beau, tout est parfait. Et soudain, la voiture tombe en panne, dans un endroit perdu au milieu de nulle part et alors tout se détraque et vire d’abord à l’inquiétant, puis à l’horrible.

De la même façon, la sortie en barque de Jésus avec ses disciples, qui aurait dû être sans aucun danger, vire au cauchemar.

Rationnellement, il n’est pas normal que la bourrasque tout à coup emplisse d’eau cette barque (alors que Jésus dort sur son coussin, même pas mouillé !).

Et le débarquement de Jésus seul dans le pays des Géraséniens raconte la suite du cauchemar.

Il n’est pas normal qu’en débarquant, Jésus soit accueilli par ce simulacre d’être humain.

C’est comme si, en avançant en eau profonde, tout à coup, Jésus et ses disciples se trouvaient entraînés dans un autre monde, un monde parallèle d’où toute sécurité a disparu, où il n’y a plus rien de « normal », où tout n’est qu’effroi, peur, violence.

Pourtant, nous connaissons cela. Et pas seulement dans la littérature, pas seulement dans les films d’horreur. Nous connaissons ces instants, ou ces temps de chaos. Quand tout à coup la normalité du monde devient tellement étrangère à ce que nous vivons, qu’il n’est pas possible de garder notre sang-froid. Quand tout à coup le malheur, la maladie, la mort surviennent. Quand tout à coup l’existence n’a plus de sens tout simplement.

On a l’impression d’être devenu étranger dans un monde d’illusion. C’est le chaos.

C’est le chaos quand l’ordre du monde, quand ce qui est juste, ce qui est bon, est mis à terre.

Toutes ces situations où l’on dit « ce n’est pas juste » ! Toutes ces situations où l’on tente de négocier avec Dieu ou avec le sort pour que l’issue soit favorable. …Sans succès.

C’est le chaos quand la confiance est trahie, quand l’abominable est perpétré. C’est le chaos quand on voudrait tant que le temps remonte en arrière pour empêcher ce qui s’est produit.

Le chaos, nous le connaissons bien, à tous les niveaux de l’histoire, dans la grande histoire du monde et dans nos histoires individuelles. Nous l’avons parfois subi.

Nous avons senti le sol se dérober sous nos pieds, nous avons vu l’abîme s’ouvrir au creux de vagues immenses pour nous engloutir. En ces moments-là, rien ni personne ne peut nous atteindre.

Le chaos a pris toute la place. La nuit recouvre le monde et nulle lumière ne peut traverser cette noirceur. Ces deux récits de chaos, racontés l’un après l’autre, permettent au lecteur d’essayer différentes places.

Je m’explique : il est assez simple de se mettre à la place des disciples dans la barque. Dans la grosse bourrasque, je crois que j’aurais bien crié d’angoisse, comme eux. Cette terreur est compréhensible devant la mort qui s’annonce. Et dans le récit de cet homme possédé par une légion de démons, où est la place du lecteur ?

Pouvons-nous imaginer d’être ce possédé, tellement empli de noirceur que nul contact n’est possible avec autrui ? Sommes-nous les habitants de la ville, tellement horrifiés par son comportement que nous avons tenté, en vain, de l’enchaîner, pour qu’il ne trouble pas l’ordre public ? Nous connaissons, j’en suis certain, des personnes que le malheur a rendu inaccessible, avec lesquelles il ne peut y avoir aucune parole échangée tant la noirceur de la peine a pris de place à l’intérieur d’elles-mêmes.

Dans le récit de la tempête apaisée, la noirceur est autour des disciples, dans le récit du démoniaque, la noirceur est à l’intérieur de l’homme. Dans les deux cas, il y a risque de mort, la mort est tout autour, menaçante et chaque instant risque d’être le dernier. Quelle est l’attitude de Jésus dans ces situations de risque mortel ? Dans la barque Jésus dort tout simplement, comme s’il était insensible aux mouvements désordonnés du bateau.

Une fois réveillé par les disciples, il dit au vent et à la mer : « Silence, tais-toi !» et le calme se fait.

Et avec le démoniaque, Jésus entre en discussion paisible avec les démons qui se cherchent une issue de secours honorable.

La fin montrera que l’idée des démons n’étaient pas très bonne puisqu’elle précipita leur perte, mais aujourd’hui ce n’est pas le sujet. Ce qui apparaît clairement, c’est que Jésus n’a pas peur du chaos, du non-sens et de la mort imminente. Il n’explique rien à ses disciples.

Il ne dit pas pourquoi cette tempête est survenue, ni pourquoi cet homme est dans un tel état.

Il ne dit pas qu’il a mérité ce qui lui arrive, ni le contraire d’ailleurs. Il n’y a pas de pourquoi possible devant le chaos. Il y a juste une parole de vie qui tout à coup impose le calme, met des limites au chaos, délivre l’homme de la noirceur qui le possédait.

Là se trouve la bonne nouvelle de l’Évangile : En Jésus-Christ, Dieu a fixé une limite au chaos, des bornes au mal, une frontière à la mort. Le chaos, le mal, la mort font des ravages, mais ne peuvent pas tout engloutir. Nous n’avons pas d’explication au mal, mais la parole de vie résonne, même au fond des tombeaux. Christ est remonté de la mort où, disent les textes anciens, il est allé prêcher aux défunts. Christ est remonté de la mort, il est revenu d’au-delà de la noirceur et il est toujours là, à nos côtés, pour prononcer les paroles toutes simples de la vie :  Du calme, silence, tais-toi (pour le mal) ; Va-t’en chez toi, chez les tiens (à l’homme qui avait été possédé).

La vie est à nouveau possible, le mal n’a pas le dernier mot. Dieu nous attend à ses côtés pour vivre, encore et toujours. Il fait de nous des collaborateurs pour la vie, car il dépend aussi de nous que nous placions les limites au mal, que nous saisissions la main de la vie, que nous ne rajoutions pas nous-mêmes de la noirceur aux ténèbres. Ils n’en ont pas besoin ! Jésus dit à l’ancien démoniaque (nous ne connaissons pas son nom) : « Va-t’en chez toi, chez les tiens, raconter comment le Seigneur a eu compassion de toi ».La vie est devant nous, chez les vivants.

L’homme quitte enfin les tombeaux qui étaient devenus sa résidence ! Il peut retourner à la vie.

Peu importe les raisons qui l’avaient réduit à cet état abominable. Aujourd’hui, il est rendu à la vie.

Quand le chaos nous submerge, laissons-nous toucher par les paroles de vie.

Amen

Pasteur Andreas Seyboldt