Culte du souvenir : ressusciter du chagrin

VNPPrédication du dimanche 11 novembre 2012

Culte des endeuillés

Texte biblique : Matthieu 8, 18-23

« Laisse les morts enterrer les morts ».

Soyons honnêtes, cette parole de Jésus nous semble bien dure : « Laisse les morts enterrer les morts ! »

Signifie-t-elle que Jésus rejette toute cérémonie funèbre ?

Refuse-t-il au mort les égards auquel il a droit et à la famille l’expression d’une souffrance pourtant légitime ?

Faudrait-il, au nom d’une espérance céleste, nier les douleurs terrestres ?

J’ai le souvenir d’avoir reçu un faire part m’informant du décès d’un officier de l’armée du salut. Il était ainsi libellé « Promotion à la gloire. L’officier untel a été promis à la gloire céleste par notre Seigneur Jésus-Christ. Retrouvons-nous pour nous réjouir« .

Nier ainsi la peine et le deuil, est-ce vraiment ce qui nous est demandé ?

De même, confronté aux prières pour les morts, aux indulgences destinées à sauver les âmes du purgatoire, la réforme calviniste s’est montrée très restrictive en matière de rites funéraires.

Les pasteurs n’avaient pas le droit d’accompagner les familles au cimetière, il n’y avait pas de servce funèbre au Temple.

Aujourd’hui, la société toute entière a pris le relai.

La mort est évacuée, le corps est escamoté, les textes liturgiques les plus souvent choisis nous assènent que « la mort n’est rien », qu' »il ne faut pas pleurer ».

En apparence, cette façon de faire confirme la parole de Jésus.

Pourtant, il n’en est rien.

Prendre au sérieux la parole de Jésus, comme l’a fait l’évangéliste Matthieu, c’est plutôt affirmer que le Christ donne à tous ceux qui sont éprouvés par le décès d’un proche la possibilité de vivre dans un triple état d’esprit : de deuil, reconnaissance, vie renouvelée ; triple état d’esprit pour une triple libération.

D’abord, le deuil.

Bien sûr, les Eglises chrétiennes centrent leur message sur la résurrection.

Il n’empêche, le deuil a toute sa place dans un semblable service.

Le Dieu auquel nous croyons n’est pas seulement le Dieu des consolations célestes.

Il ne considère pas toute souffrance et toute tristesse comme illégitimes alors qu’elles font pourtant bien partie de notre existence.

Au contraire, il est le Dieu du réel, le Dieu des bénédictions et de la vie mais aussi des souffrances terrestres, le Dieu qui accompagne Job ou les apôtres pleurant Jésus le vendredi de Pâques, le Dieu qui est aujourd’hui auprès de ceux d’entre vous qui traversent un deuil.

Ce deuil, les pouvoirs publics en fixent la durée légale: une journée, trois jours, une semaine parfois, selon notre proximité avec la personne décédée.

Les religions font de même : selon leurs traditions rituelles, elles proposent des périodes de deuil de quelques jours à quelques mois.

Je crois que la perte d’un conjoint, d’un parent, d’un enfant ne s’oublie jamais.

Il reste toujours la douleur de l’absence, le désir inassouvi de lui confier des projets et des pensées, de se réjouir avec lui ou de trouver en lui une écoute attentive et aimante.

Alors, aujourd’hui, comme dans dix ans, à chaque fois que vous en ressentirez le besoin, ayez le courage d’en parler, le courage de vous soutenir les uns les autres, le courage d’admettre votre fragilité.

Est courageux celui qui reconnaît sa faiblesse et la partage.

Ainsi, la peine et le deuil restent nos compagnons de vie, mais nous ne sommes pas seuls pour les affronter.

Il y a la présence des proches.

Il y a la communauté chrétienne.

Il y a enfin, surtout, la présence de Dieu.

J’aime l’affirmation de Paul Claudel : « Christ n’est pas venu supprimer la souffrance ni même lui donner un sens. Il est venu l’accompagner de sa présence« .

Ce qu’il dit de la souffrance est vrai pour la souffrance la plus vive, celle du deuil. Christ est venu l’accompagner.

Nous pouvons donc lui confier notre peine, nos questions, nos révoltes et recevoir, peu à peu, sa paix. L’une des spécificités du christianisme est de refuser d’expliquer le pourquoi de la souffrance mais de croire en la présence de Dieu, au cœur même de la souffrance.

Après le deuil, la reconnaissance.

Bien sûr, ce mot est difficile à prononcer en pareille circonstance, après tant de souffrances.
Je crois qu’il a pourtant sa place.

Reconnaissance pour la vie de notre cher disparu, pour ce qu’il a apporté à ceux qui l’aimaient, pour la lumière qui a éclairé la vie d’autres personnes.

Reconnaissance, parfois, parce que la mort, pour douloureuse qu’elle fut, a permis d’éviter la prolongation d’une vie souffrante ou dégradée.

Reconnaissance, enfin, tournée vers Dieu.

Parce que je crois qu’il l’a accompagné tout au long de sa vie, qu’il l’ait su ou pas.

Parce que je crois qu’aujourd’hui, Dieu s’en occupe.

Il l’accueille, il le ressuscite.

Nous avons, les uns et les autres, des difficultés avec la résurrection.

Nous lui donnons une signification purement symbolique ou nous préférons croire en la réincarnation.

Pourtant, la résurrection n’est pas un simple dogme invérifiable comme il y en a d’autres.

Elle s’arrime, elle s’ancre sur un événement : la résurrection du Christ.

Le symbole des apôtres, lu tout à l’heure, affirme en son milieu, la réalité de la résurrection, inauguré en Christ.

Les quatre évangiles évoquent tout aussi clairement la résurrection du Christ et ses rencontres avec de nombreuses personnes.

Ils ne disent pas comment le Christ est ressuscité, quelle nouvelle apparence physique il a revêtue. D’ailleurs, des gens qui l’ont bien connu ne le reconnaissent pas vraiment.

Ces récits s’en tiennent à un seul point : Christ est ressuscité.

Surtout, ils nous font comprendre que la résurrection du Christ prend une dimension tout à fait existentielle, c’est-à-dire concernant notre existence, car elle a deux conséquences cruciales pour nous.

Tout d’abord, Dieu s’occupe du mort.

Nous avons aimé notre proche disparu.

Nous avons partagé son existence.

Aujourd’hui, Dieu ne le laisse pas tomber, Dieu ne le laisse pas mort.

C’est un mystère dont, comme pour tout mystère, une part de la réalité nous échappe. Mais savoir que son mort est auprès du Seigneur, c’est pouvoir être délivré de tout regret, de tout sentiment de culpabilité et surtout de tout désespoir.

C’est pouvoir ne pas être comme ces hommes et ces femmes qui, par nostalgie, par repli sur soi, au nom de la mort dont ils sont les victimes, oublient de vivre, oublient d’aimer et tombent dans le désespoir.

Ainsi, croire en la résurrection n’est pas adhérer à un dogme fumeux mais choisir de vivre.

Second aspect de la résurrection : de même que nos morts ressuscitent, nous pouvons nous aussi ressusciter de ces « petites morts » que sont la déception, la nostalgie d’un passé jugé plus gratifiant, la culpabilisation devant une faute que l’on ne se pardonne pas.

Croire que Dieu est puissance de vie, croire qu’il a ressuscité le Christ et fera vivre ceux qui nous ont quittés, c’est croire que nos petites morts ne sont pas une fatalité, mais que Dieu nous tourne de façon nouvelle vers l’existence.

Ainsi, l’espérance de la résurrection donne au chrétien une force, propre à tout homme, mais que lui peut ne pas oublier : la force de vivre.

Il devient même possible, sans refouler ni nier le deuil et la peine, de louer notre Dieu et de lui être reconnaissant, même dans un moment comme celui-là.

Il devient possible de lui dire notre gratitude pour cette vie donné, pour cet amour qui vous a liés à l’être aimé, de le louer pour ce que cette vie a eu de fructueux.

Il devient possible d’expérimenter que, malgré la peine et le deuil, au-delà de la peine et du deuil, la vie se fraie une place, une vie différente, une vie blessée, mais une vraie vie.

Pour conclure, j’aimerais m’associer à toute la communauté de Bois-Colombes pour vous dire toute mon amitié et surtout, toute mon espérance.

Amen !