Culte de la réformation ou la justification par la foi

Dimanche 2 novembre 2014 

Texte biblique : Romains 1, 16-17 : C’est par l’Evangile que la justice de Dieu est révélée. Pour la foi et par la foi, selon qu’il est écrit: « Le juste vivra par la foi

Le 31 octobre 1517, Luther cloue 95 thèses sur la porte de l’église du château de Wittenberg, point de départ de la réforme de la chrétienté occidentale.

497 ans plus tard, et alors que nous fêterons dans 3 ans le 500ème anniversaire de la Réforme, quel sens y a-t-il à le célébrer ?

Passons d’abord en revue les mauvaises raisons :

– Il y a l’autocélébration : « qu’est-ce que nous avons été bons ! nous qui avons inventé, en toute simplicité, la modernité, la liberté, la responsabilité individuelle, voire même le capitalisme ».

– Nous pouvons aussi nous figer dans le passé, faire du protestantisme un musée que l’on visite ou une suite d’anniversaires que l’on célèbre.

– Enfin, nous risquons de renforcer la dimension clanique du protestantisme, en laissant penser qu’il se transmet par hérédité et que, pour faire vraiment partie du club, il.est nécessaire d’avoir un ancêtre galérien, un grand-oncle pasteur et une maison dans les Cévennes.

Pourtant, malgré ces risques, il est utile de fêter la Réforme, parce qu’elle a redonné du goût à l’Evangile, cet Evangile affadi par des siècles de chrétienté.  

Qu’est-ce que Luther a ainsi remis en évidence et qui a nourri spirituellement des centaines de millions de croyants ? Ou, pour poser la question différemment, quelle est la spécificité protestante ?

Est-ce l’importance accordée à la Bible ?

Nous nous croyons encore le peuple de la Bible, mais depuis Vatican II, les catholiques romains nous rejoignent dans la méditation de l’Ecriture.

Surtout, pour employer une expression de Luther, la Bible est « la servante du Christ », elle est comme un doigt tendu vers l’Evangile. La spécificité protestante n’est donc pas l’importance accordée à la Bible mais la façon dont elle est lue et interprétée.

Alors, serait-ce l’annonce de la liberté, la responsabilité, l’accès des femmes à des postes de responsabilité importants, y compris dans l’Eglise ?

Bien entendu, le protestantisme a favorisé l’éclosion de la démocratie, des femmes ont pu devenir pasteurs, notre vie d’Eglise est collégiale.

Bien entendu, les pays à culture protestante ont accédé à la modernité plus tôt que des pays marqués par d’autres influences.

Mais, d’une part, nous n’avons pas le monopole de ces valeurs ; et heureusement ! D’autre part, nous confondons l’arbre avec ses fruits.

Si la Réforme a eu des conséquences sociales, éthiques, politiques, elle est d’abord une dimension spirituelle.

Cette approche, Luther la construit à partir du verset que nous venons de lire : « C’est en l’Evangile que la justice de Dieu est révélée. Pour la foi et par la foi, selon qu’il est écrit: « le juste vivra par la foi».

Protestants, catholiques et orthodoxes croient pareillement qu’en Jésus-Christ, Dieu se tourne vers nous, nous pardonne, nous fait grâce, nous sauve.

La question est de savoir comment découvrir ce pardon et cette grâce, comment les recevoir, comment en vivre.

C’est là que Luther tire de l’Evangile une bonne nouvelle, oubliée depuis longtemps.

Ce que Luther redécouvre, et qui fait que nous sommes ou que nous cessons d’être protestants, c’est la primauté de la foi.

Dieu nous aime, nous pardonne, nous sauve, gratuitement. Mais seule la foi nous permet de le comprendre, de le recevoir, de réorganiser notre vie.

Cela n’a rien de naturel.

Spontanément, nous croyons en un Dieu juste, qui exige de nous un bon comportement, de bons rites. Seuls ceux qui agissent ainsi sont dignes de son amour.

Les autres sont mis de côté, voire condamnés éternellement.

Ainsi, Dieu serait semblable à un instituteur qui distribue des bonnes et des mauvaises notes, ou à un juge qui, au crépuscule de notre vie, pèse nos bonnes et nos mauvaises actions.

Pour amadouer ce Dieu qui juge, les Eglises ont inventé un ensemble de rites, de liturgies, de sacrements, de pèlerinages.

L’homme essaie d’escalader le ciel pour y rencontrer Dieu.

Cette idée de la justice de Dieu terrifiait Luther, « Comme je détestais alors ce Dieu juge, terrible » disait-il.

Luther médite ce verset : « C’est en l’Evangile que la justice de Dieu est révélée. Pour la foi et par la foi, selon qu’il est écrit: « le juste vivra par la foi«  ».

Il comprend alors que ce Dieu qui condamne, ce Dieu dont les Eglises se servent pour instaurer la soumission et la crainte, ce Dieu n’est pas celui que Jésus-Christ nous fait connaître.

A la suite de Paul, Luther découvre que Dieu est bien juste mais que sa justice est celle de l’Evangile. C’est une justice vécue par Jésus-Christ. Jusqu’à sa mort sur la croix.

Dieu est juste comme un père ou une mère l’est pour son enfant.

D’abord, Dieu nous aime, même lorsque nous passons à côté de l’essentiel, même lorsque notre vie de couple ou de parents va de travers, même lorsque notre foi émet une lumière vacillante.

Cette bonne nouvelle est tellement contraire à nos idées sur Dieu qu’elle ne se reçoit que par la foi.

Par la foi, seulement, tu peux comprendre que Dieu répond à tes incohérences par son amour et qu’il a laissé Jésus mourir sur la croix pour te le manifester, en pleine lumière.

Tu n’as donc plus à mériter le salut en étant parfait.

Tu n’as plus à escalader le ciel à coups de sacrements, de bonnes actions ou de prières.

C’est Dieu qui vient à toi.

Tu n’as plus besoin d’essayer de te faire aimer de lui.

Tel que tu es, il t’aime et te donne son Esprit.

Tel que tu es, Dieu te sauve.

« Dieu est Dieu parce qu’il ne réclame rien pour lui mais ne fait que donner et se donner » affirmait Luther.

Ainsi, par la foi, nous nous découvrons aimés, tels que nous sommes.

Et cette découverte nous permet de nous regarder tels que nous sommes.

Comme des êtres lumineux, désirant aimer, partager, vivre, mais également comme des êtres sombres, divisés intérieurement, pécheurs : « N’aie surtout aucune illusion, sache que tu es pécheur, ne te leurre pas toi-même » nous dit Luther.

Ecrivant cela, en plein essor de l’humanisme, Luther a été accusé d’être trop pessimiste sur l’homme et c’est pour cette raison que des penseurs comme Erasme n’ont pas basculé du côté de la Réforme.

Aujourd’hui encore, il est mal vu de parler du péché ; mais ce n’est pas en supprimant un mot que disparaît la réalité qu’il désigne.

Parfois sans le vouloir, nous nous blessons mutuellement, nous nous coupons des autres, nous nous coupons de Dieu, nous nous coupons de ce qui est essentiel à nos yeux.

C’est cela le péché

Par la foi, nous nous contemplons comme on le fait devant un miroir, et nous sommes bien obligés de constater qu’il y a des choses en nous qui ne vont pas, des choses qui sont de l’ordre du mal, parce qu’elles font mal, parce qu’elles font du mal.

Cette lucidité sur soi est nécessaire, non pour se culpabiliser, encore moins parce que Dieu l’exigerait pour nous sauver, mais pour accepter sa main tendue.

Car c’est bien cela l’enjeu : laisser Dieu venir vers nous; nous soigner et nous guérir.

Ainsi, si nous reconnaissons nos limites et nos fautes, ce n’est pas pour agir sur Dieu, c’est pour demander à Dieu d’agir en nous et de nous rendre justes.

Par la foi, Dieu agit en nous et nous transforme intérieurement, nous renouvelle, nous donne du souffle.

La foi est la porte d’entrée à l’action de Dieu.

Ainsi, nous sommes tous enfants de Dieu, croyants comme incroyants.

Mais seule la foi permet d’en vivre.

La Bonne Nouvelle est comme un vent qui souffle pour tous les marins; mais seuls les marins avisés, qui orientent leur voile en fonction de ce vent, l’utilisent pour avancer.

Soyons donc des marins avisés, qui prennent appui sur le vent de la foi pour faire avancer le bateau de la vie.

Amen !

Vincent Nême-Peyron