Attendons-nous à l’inattendu

Une réflexion sur le confinement rédigé par Olivier Ramananarahary

Ce monde de l’après-confinement, de l’après-Covid 19, comment le rendre meilleur, quelle contribution apporter et d’abord, peut-être, comment le comprendre, l’appréhender ? Tentative d’esquisse d’une vision, celle d’un monde ignoré, qui n’en finit pas d’émerger, mais dont cette crise sans précédent rend des ruptures incontournables, des chemins indispensables au cœur de l’incertitude, palpable comme elle ne l’a jamais été pour l’individu et l’humanité.

Qui a joui d’une cabane au fond d’un jardin ou dans un arbre, d’un lieu secret, d’une grotte pour réunir le cercle des poètes disparus ? Ce confinement évoque des réminiscences du temps passé dans ce lieu secret, utérin, à imaginer des lendemains réenchantés, à réinventer une existence heureuse, à dissiper ces parfums de fin du monde. Ce monde de l’après-confinement, de l’après-Covid 19, comment le rendre meilleur, quelle contribution apporter et d’abord, peut-être, comment le comprendre, l’appréhender ?

Appréhender le présent.

Comprendre ce qui arrive aujourd’hui, c’est s’ouvrir à l’irruption et la révélation brutale de la systémique. D’abord parce que la nouvelle maladie pandémique est une inflammation vasculaire systémique mais au-delà, que tout ce qui semblait séparé est en fait relié, que le battement d’aile d’une chauve-souris à Wuhan a réellement plongé le monde dans une crise globale. Prédictible pour ceux qui ont le privilège de l’accès à certaines séries sur Netflix ou écouté intelligemment Bill Gates depuis quelques années. À peine concevable pour l’immense majorité des humains puisque même les prospectivistes officiels qui alimentent les gouvernements occidentaux l’ont occulté.

 Une crise de la civilisation qui a mis au jour l’aliénation, l’intoxication consumériste dans laquelle nous vivions. Et la carence de solidarité qui est son pendant.  Une crise des repères, puisque non seulement nous constatons qu’au XXIe siècle, la science ne détient ni la vérité ni la solution unique, rationnelle et reconnue de tous pour chaque problème, mais qu’en plus, de grands scientifiques pouvaient être assujettis à des relations d’intérêts avec des lobbies pharmaceutiques ou industriels, mus par la soif effrénée du profit. Une crise intellectuelle qui peut en partie être attribuée à notre mode d’acquisition et à l’hyperspécialisation des connaissances. Qui a disjoint ce qui est inséparable, amputant les liens, les connexions et la vision holistique. Imputable également à notre incompétence à piloter dans l’incertitude et notre dénuement face à la complexité du réel. L’encyclopédiste ou du moins l’honnête homme cultivé se fait rare, laissant la scène et le micro aux fortunes plus ou moins bien acquises, aux ultracrépidariens, aux Andy Warhol et à ses « quinze minutes de célébrité » pour lesquelles ils sont prêts à tout abdiquer.

Appréhender correctement le présent, envisager lucidement, avec espoir, les lendemains possibles nécessite des moments de désabusement, parfois même de rage et de désespoir. Et comme le chante Leo Ferré, le désespoir est une forme supérieure de la critique. Pour le moment, nous l’appellerons bonheur.

Envisager l’avenir.

Nous avons l’habitude de dire que l’avenir est une page blanche car rien n’est écrit à l’avance. Que rien ne soit écrit à l’avance, soit, que c’est à nous, individuellement et collectivement, d’écrire l’histoire, soit. Mais la feuille n’est pas blanche. Elle est d’une couleur bien sombre. Les quatre chevaux de l’apocalypse galopent toujours. Le blanc de la conquête et du pouvoir qui pourrait symboliser l’aréopage de personnes sidérantes, celles qui détiennent le devenir de millions ou même de milliards d’êtres humains au fil de l’épée de leur décisions, de leur bon vouloir quand ce n’est pas de leur psychoses. Associées à la finance spéculative mondiale, ses bulles gigantesques et ses produits dérivés surréalistes. Et l’élargissement de la faille entre les nantis, ceux qui profitent, qui écrasent et la misère crasse, la pauvreté invaincue. La défaite de la démocratie.

Le roux qui pourrait représenter toutes ces guerres encore en cours ou en devenir, larvées ou déclarées, et ces cortèges de populations déplacées ou massacrées. L’incapacité à la paix durable. Le noir qui désigne tous les grands manques et en particulier la faim dans le monde, la pénurie croissante des ressources naturelles, dont l’eau et les terres arables, liée à l’évolution de la démographie mondiale. Et le chaos climatique, pollutoire, écologique, océanique, la déforestation donc la destruction de l’habitat de nombreuses espèces animales entraînant leur disparition, qu’il faut résoudre avant l’effondrement. Le grand effondrement. Le vert pâle qui évoque tous les virus, les maladies, les accidents, les catastrophes, la mort tapie à nos portes, l’aveu d’impuissance de la médecine qui a dû choisir entre ceux qu’on sauvait et ceux qu’on abandonnait. Qui interroge le rêve transhumaniste de l’immortalité. Cette actuelle pandémie n’est peut-être qu’une semonce, la secousse annonçant les futures répliques. La vulnérabilité humaine.

Cette litanie qui assombrit la feuille initialement blanche nécessite des humains qui écrivent la suite avec une encre claire, une encre éclairée, éclairante. Des éclaireurs, des veilleurs des nouveaux temps. Car le risque et le scénario le plus probable est le retour au temps d’avant et l’oubli progressif de ce qui s’est passé par nos esprits zappeurs. Veilleur, où en est la nuit ? Le matin vient.

Alors, que faire aujourd’hui pour préparer demain dans ce contexte ? Laissons les grands projets de société et du vivre ensemble, l’envergure planétaire ou politique à ceux qui en ont la volonté, la capacité et sont en situation. Opérons pour le moment un focus sur le local, car c’est le champ de cette intervention. D’abord, une affirmation de fond. Attendons-nous à l’inattendu. Quels que soient les outils développés, l’avancée des sciences des données et des algorithmes, et le savoir faire des prospectivistes, ce qui marquera l’avenir est indicible et imprédictible aujourd’hui. Ce qui importe ce n’est pas de prédire l’avenir, c’est de le permettre. Le permettre en agissant au niveau individuel et au niveau collectif local.

Devenir soi

Au niveau individuel, soyons juste. N’exigeons pas des autres une amélioration supérieure à celle que nous engageons sur nous-même. Parions que l’amélioration générale de l’humanité sera supérieure à la somme des améliorations que chaque humain engage sur lui-même, que l’avenir appartiendra à ceux qui le rendent meilleur. Et que nous atteindrons une masse critique de changements qui fera basculer positivement notre devenir commun suivant quelque bond quantique ou un changement d’état, une sublimation non encore descriptible. Comme son nom l’indique la tâche est d’abord individuelle. Je me contenterai donc d’indications générales et d’une exhortation sportive. Soyez meilleur là où vous êtes déjà bon, dépassez vos limites, battez les records. Montez plus haut là où vous êtes déjà élevé, allez plus loin là où vous êtes déjà avancé, courez plus vite là où vous êtes déjà rapides, soyez plus forts là où vous êtes déjà puissant.

Physiquement, entretenez votre corps, votre cœur, vos différents systèmes au meilleur niveau que vous permet votre état actuel. En n’ayant comme principal concurrent que vous-même. Dépassez-vous.

Intellectuellement, fréquentez les hauteurs, déambulez sur les crêtes, lisez Edgar Morin, il vous initiera à la pensée complexe, Esther Duflo, elle vous dessillera sur la lutte contre la pauvreté. Aurélien Barrau et vous saurez qu’être astrophysicien n’empêche pas d’être passionné de la terre; Michel Serres et accédez à la pétillance du maître; Nassim Nicholas Taleb pour comprendre que seul l’imprévisible est prévisible; Albert Camus, éclairant sur la crise de l’homme; Esaïe et vous saurez d’où vient la citation sur les veilleurs. Lisez ce qui vous parle et vous fait avancer, mais lisez. Jouez ou initiez-vous aux échecs, votre cerveau apprendra l’intelligence des situations, à calculer en arbre et à prendre les meilleures décisions en incertitude et complexité. Jouez ou initiez-vous à un instrument de musique et laissez s’exprimer vos émotions dans un langage universel, touchez les cœurs. Composez, créez, écrivez.

Spirituellement, faites le ménage, essayez la méditation, vous agirez sur plusieurs leviers. Écoutez les anciens, ceux qui ont atteint la sérénité, approché la sagesse. Ceux qui ont  encore leurs parents, mettez à votre profit cette immense chance. Laissons-nous recharger par les énergies telluriques et cosmiques. Aimons, soyons joyeux, soyons des artisans de paix. Développons nos capacités à la patience, à la bienveillance. Donnons jour à la meilleure version de nous-même.

Agir ensemble

Quant aux actions collectives, même locales, au sein de notre paroisse par exemple, interrogeons nos fondamentaux: notre identité, notre raison d’être nos missions, nos valeurs. Appuyons-nous sur nos points forts. Avec seulement quelques personnes passionnées mais investies, une équipe agile et ingénieuse, l’adhésion et l’implication de talents locaux mais en relation avec d’autres  dans le monde, un choix d’outils utiles parmi la pléthore proposée aujourd’hui, il est possible d’innover pour diminuer, même localement, la carence en solidarité. Et d’opposer à la soif effrénée de profit et l’intoxication consumériste des notions qui peuvent marquer et changer le monde de  l’après : la sobriété, l’humilité, le bénévolat. Nous avons un privilège, une assurance: face à l’incertitude, nous avons la foi, face à la solitude , nous savons être aimé et c’est dans notre faiblesse que nous sommes le plus utile à Dieu ■