… s’étant fait un fouet avec des cordes, il les chassa tous …

LECTURES BIBLIQUES :

 Jean 2 / 13 – 25 (1 Corinthiens 1 / 22 – 25)

 « Alors, s’étant fait un fouet avec des cordes, il les chassa tous du temple » (Jean2,15a).

PRÉDICATION :

Pourquoi Jésus est-il en colère ?

Une colère d’une violence surprenante – pour ne pas dire choquante que l’on ne lui connaît pas par ailleurs. En effet, nulle part ailleurs dans les Évangiles, nous ne sommes confrontés à une telle … violence – non seulement en paroles, mais aussi en actes – venant de la part de Jésus !

Et – différemment des trois autres évangiles qui racontent le même récit des « vendeurs chassés du temple » – cette violence ne se dirige pas seulement contre des objets : la marchandise, les tables d’échange et de trafic, mais aussi contre les marchands eux-mêmes : « Alors, s’étant fait un fouet avec les cordes, il les chassa tous (i.e. les marchands et les changeurs) du temple » (Jean2,15a).

Un Jésus violent qui contraste voire même se trouve en opposition assez radicale avec le « doux » Jésus que nous connaissons d’autres passages d’évangiles, p.ex. celui du sermon sur la montagne :

« Heureux les doux : ils auront la terre en partage. … Heureux ceux qui font œuvre de paix : ils seront appelés fils de Dieu. …

Et moi, je vous dis de ne pas résister au méchant. Au contraire, si quelqu’un te gifle sur la joue droite, tends-lui aussi l’autre » (Mt.5/4.9.39).

Comment expliquer cette opposition entre un « Jésus doux » et le Jésus violent de notre récit ? …

On peut avoir de nombreuses interprétations de ce récit. J’en donnerai seulement deux :

une interprétation selon le contexte d’écriture de l’évangile de Jean,et ensuite

– une interprétation théologique.

 

1) Le contexte d’écriture de l’évangile de Jean

Pour éviter tout malentendu, fausse explication ou relativisation au sujet de cette violence, il nous faut relire notre récit dans son contexte, c’est à dire, celui de l’Évangile de Jean – qui, d’une manière générale, se distingue assez ouvertement de celui de Matthieu, Marc et Jean, et en particulier ici, dans le récit des marchands du temple.

Tout d’abord par le fait que ce récit se trouve chez Jean tout au début de son évangile – et non pas à la fin comme chez les autres, inséré dans leur récit de la Passion, c’est à dire le récit des derniers jours de Jésus avant sa mort.

C’est dire que pour Jean, dès le début, la venue de Jésus se trouve confrontée à la violence, et c’est d’abord et avant tout la violence de ceux qui rejettent le Christ, « vraie lumière qui, en venant dans le monde, illumine tout homme ». Or, « le monde ne l’a pas reconnu ».

Le verbe « connaître » en français vient du grec « ginosko » qui peut encore se traduire par : sentir, s’apercevoir, savoir, comprendre et, aussi, reconnaître.

Il a aussi le sens de « entrer ou être en relation avec quelqu’un », y compris de façon intime : dans le langage biblique, « connaître quelqu’un » peut aussi se traduire « avoir une relation sexuelle avec quelqu’un ». Connaître se dit en particulier de Dieu qui connaît « le cœur des hommes ».

C’est de cette « connaissance du cœur de l’homme par Dieu » que parlent les derniers versets de notre récit : « Jésus… les connaissait tous… Il savait… ce qu’il y a dans l’homme ».

Cette connaissance de l’humain par Dieu, incarnée, révélée en Jésus implique son Amour pour « le monde », c’est à dire, pour tous les hommes et pour chacune, chacun en particulier, comme le dit Jésus à Nicodème un peu plus loin : « Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils, son unique » (Jean3,16a).

C’est ce qu’exprime, dans un sens plus profond, aussi le verbe « reconnaître » en français : accepter, accueillir quelqu’un en lui donnant sa juste place. Or, comme le constate le prologue de l’Évangile de Jean en parlant de Jésus, lumière, parole incarnée de Dieu dans le monde : « le monde ne l’a pas reconnu ». …

Et c’est justement de l’absence d’une telle connaissance-reconnaissance que se trouve cruellement, violemment et de façon abrupte privés les membres de l’Église, de la communauté judéo-chrétienne pour lesquels Jean écrit son Évangile aux environs de l’an 90 de notre ère. Elle partage, en cela, le destin de son maître !

Plus loin dans son Évangile, Jean nous dit que ces chrétiens se trouvent menacés d’être « chassés » et d’être « exclus » de la Synagogue à cause de leur confession en Jésus comme Messie, comme Christ.

Interrogés par des Pharisiens sur la guérison miraculeuse de leur fils, né aveugle, ses parents n’osent pas confesser Jésus ouvertement comme Messie. Jean explique : « Ses parents parlèrent ainsi parce qu’ils avaient peur des Juifs. Ceux-ci étaient déjà convenus d’exclure de la synagogue quiconque confesserait que Jésus est le Christ » (Jean9,22).

Ces judéo-chrétiens de la communauté de Jean subissent ainsi les conséquences d’un durcissement du Judaïsme suite à la destruction du temple en 70.

La ligne dominante du Judaïsme de cette époque était devenue celle qui expliquait la défaite face aux armées romaines par l’infidélité du peuple juif à la « vraie doctrine »,… explication souvent donnée, à travers les siècles, dans toutes les cultures et religions qui se trouvent confrontées aux échecs et défaites face à des puissances étrangères écrasantes…

Les judéo-chrétiens qui se trouvaient, comme d’autres groupes, jusqu’alors tolérés au sein du Judaïsme, en sont dorénavant exclus. Ils subissent ainsi la ligne dure d’une « tolérance zéro », prônée par le  parti des Pharisiens après la destruction du Temple. …

Deux conséquences majeures de cette exclusion sont d’une part qu’ils se trouvent privés du réseau de solidarité que constituait la synagogue, et d’autre part qu’ils ne peuvent désormais plus bénéficier du statut de religion officiellement reconnue, accordée au Judaïsme au sein de l’Empire Romain. Ils sont alors vraisemblablement contraints de se soumettre au culte de l’empereur.

Désemparés dans leur foi, Jean, avec son évangile, cherche à les conforter, à les encourager et à sceller l’unité de leur communauté meurtrie. Tout en donnant une autre interprétation de la destruction du Temple que celle de la ligne « tolérance zéro » !

Car pour lui, ce n’est pas l’infidélité à une prétendue « pureté originelle » de la Loi de Dieu qui en est la cause, mais sa « commercialisation » qui fait dépendre le regard bienveillant de Dieu sur l’homme de ses mérites et de ses sacrifices.

La grâce de Dieu devient ainsi un « bien de marchandage » et la relation à lui est régie par le troc : donnant, donnant !

Cette lecture selon le contexte d’écriture de l’évangile de Jean nous conduit à …

 

2) Une deuxième lecture, théologique

qui rappelle, d’abord, un autre « cri de colère », celui que fera entendre, cinq siècles plus tard, un certain Martin Luther, dans une Europe dominée par une Église qui vendait la grâce de Dieu sous forme de « lettres d’indulgences » !

Selon cette deuxième lecture de notre récit, la violence de Jésus renvoie à celle qu’il subit lui-même lorsqu’il sera condamné, torturé et finalement crucifié.

Son cri de colère et sa violence ne se dirige pas contre des personnes, mais contre un système qui transforme l’homme en un objet, une « valeur marchande » – et sa colère garde alors toute son importance, toute son actualité dans notre monde d’aujourd’hui.

Pour illustrer cela j’aimerais, encore, vous parler d’un film « Jésus de Montréal », film québécois, écrit et réalisé par Danys Arcand, cinéaste – ni théologien, ni homme d’église !

Son film est (de mon point de vue) un des meilleurs sur Jésus !

Le film raconte l’histoire d’un groupe de comédiens, un peu paumés, appelés l’un après l’autre par un jeune réalisateur et comédien, Daniel.

Il a été chargé par le prêtre d’une paroisse catholique à Montréal de rafraîchir un peu le spectacle de la Passion du Christ qu’il met en scène depuis un certain nombre d’années…

Dans l’histoire, Daniel se met à la recherche des personnages pour incarner les différents rôles et de l’histoire du Jésus historique.

Petit à petit, dans sa découverte de Jésus et de son combat contre les puissances de son temps et pour les petits, les marginaux, les sans « ressources » et les exclus, ces comédiens vont découvrir l’actualité de son combat dans le monde d’aujourd’hui où règne toujours la « loi du plus fort et du plus riche » et où il faut « vendre sa propre peau » pour réussir.

Notre récit des « trafiquants du temple » y est présenté dans une scène où l’une des comédiennes appelées par Daniel, participe à un casting pour une pub où elle doit se déshabiller pour « vendre une marque de bière ».

Daniel intervient alors en renversant les tables du réalisateur de la pub et le chasse avec ses collaborateurs…

Ensuite, il s’adresse à la jeune comédienne en lui disant : « Tu vaux mieux que cela ! »

Alors, pourquoi Daniel / pourquoi Jésus est-il en colère ?

Pour protester contre toute forme de violence faite aux femmes, aux enfants, aux personnes vulnérables et en situation de faiblesse.

Pour protester contre tout trafic qui réduit l’être humain au rang d’objet.

Son combat est celui du Dieu de la Bible qui aime tout être humain tel qu’il est et qui montre une tendresse particulière à toutes celles et ceux qui sont « petits » dans ce monde : sans ressources, sans défense, sans moyens…

Et Il agit avec nos bouches et nos bras : à travers des associations et des engagements multiples et variés tels que l’Entraide, la Cimade et l’ACAT – pour ne nommer que ces trois-là, bien connues.

Mais aussi individuellement par notre regard, nos paroles et nos actes quotidiens envers notre prochain, nous pouvons « protester », c’est à dire, témoigner de l’accueil, de l’amour inconditionnel de notre Dieu pour tout homme que nous rencontrons, ici ou ailleurs…

Amen

Pasteur Andréas Seyboldt