Accueillir l’étranger : dimanche 10 juillet 2016

Prédication du dimanche 10 juillet 2016

Texte biblique : Hébreux 11 (extraits)

« Tu accueilleras l’étranger »

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« Exterminez ceux qui vous entourent »

Vis-à-vis de l’étranger, les attitudes les plus extrêmes peuvent se justifier à partir de la Bible, surtout si l’on extrait un verset biblique de son contexte.

Si nous sommes un peu plus méticuleux, alors nous devons constater que la Bible évoque souvent l’étranger mais pour décrire trois réalités bien différentes :

Il y a celle de l’étranger qui vit aux alentours d’Israël, le voisin.

Il y a celle de l’étranger qui s’installe en Israël

Il y a l’étranger de passage qui n’a pas l’intention de rester.

Et puis, il y a le peuple hébreu qui devient étranger en exil à Babylone, puis en diaspora.

Dans le premier testament, l’attitude diffère selon qu’il s’agit d’un voisin étranger ou d’un émigré. Schématiquement, on peut dire que l’étranger proche, celui qui habite un pays voisin, représente un danger spirituel. Il peut contaminer Israël avec un virus redoutable : l’idolâtrie.

Il faut donc limiter le plus possible les relations avec lui.

Les auteurs du Deutéronome ou de l’Exode auraient sûrement voté pour le Judéexit !

Par contre, la Torah et surtout les livres prophétiques prônent l’accueil et la protection de l’étranger qui s’installe en Israël.

Il peut rester.

Plus encore, il fait partie de ces « petits » à protéger, comme la veuve et l’orphelin. Par contre, il devra respecter les us et coutumes du pays et, en particulier, abandonner ses pratiques idolâtres.

L’étranger est également l’hôte, celui qui vient temporairement.

La loi juive insiste sur l’attention et l’hospitalité dues à l’hôte de passage.

Ce devoir d’hospitalité est très répandu parmi les peuples du Proche Orient.

Là où le texte biblique est original, c’est dans les motifs qu’il donne.

Le peuple juif doit accueillir l’hôte de passage car il sait qu’il a vécu lui-même en terre étrangère : « Tu ne maltraiteras pas l’étranger, et tu ne l’opprimeras pas ; car vous avez été étrangers dans le pays d’Egypte » affirme le livre de l’Exode et ce commandement suit de près les 10 commandements.

Ainsi, l’étranger proche doit être mis à distance et l’immigré doit être accueilli.

Ces deux catégories différentes et ces attitudes ambivalentes sont exprimées par un même mot.

Ce n’est pas par hasard.

Elles proviennent d’un même sentiment : la peur que l’on peut ressentir à l’égard de celui qui est différent.

On peut s’en défendre en usant de la force pour le tenir à distance ; on peut aussi réduire cette peur par un accueil et un comportement à son égard qui aideront l’hôte ou l’immigré à s’assimiler.

Dans le Nouveau Testament, Jésus ne commente pas la loi juive à l’égard des étrangers.

Par contre, Jésus s’identifie à l’étranger : « Car j’ai eu faim et vous m’avez donné à manger; j’ai eu soif et vous m’avez donné à boire; j’étais un étranger et vous m’avez recueilli » (Matthieu 25,35).

Accueillir l’étranger, c’est accueillir le Christ.

Ainsi, ce détour biblique nous donne deux enseignements :

D’abord la Bible est diverse et il est facile de la manipuler en choisissant les versets qui justifient notre cause, et l’accueil des réfugiés ne fait pas exception.

Néanmoins, si nous mettons nos pas à la suite des prophètes et du Christ, et parce que les réfugiés sont en situation de précarité, nous devons accueillir ceux qui frappent à nos portes. Pour Jésus, c’est même là que se joue l’authenticité de notre foi.

La Bible ne nous dit pas comment.

Elle ne règle pas d’autres débats qui nous agitent tel que le respect des différences ou l’assimilation mais elle nous exhorte à prendre soin de ceux que l’existence fragilise.

Avec Jésus, la Bible franchit une deuxième étape : il ne s’agit plus seulement d’accueillir le réfugié mais de relativiser les différences d’identité, de nationalité, de culture.

Jésus agit, enseigne, rencontre, guérit sans tenir compte de la nationalité des personnes rencontrées, pas plus qu’il ne tient compte de leur métier, de leur prétendue pureté.

Ainsi, il rencontre la Samaritaine, qui présente la triple tare d’être une femme, étrangère (pire encore, Samaritaine !) et divorcée à sept reprises.

Et Paul affirme, au coeur de son épître « Il n’y a plus ni juif ni grec, ni homme ni femme, ni esclave ni homme libre : tous ne sont qu’un en Jésus-Christ ».

Ainsi, le réfugié accueilli n’est pas simplement un homme précaire qui a besoin de nous mais un humain avec son caractère, aimable ou désagréable, ses goûts et ses dégoûts.

Nous entrons dans une période de crispation identitaire, que l’identité soit portée par la nationalité, la couleur de peau, la religion ou l’orientation sexuelle.

Les chrétiens sont fidèles à leur maître s’ils relativisent les étiquettes et refusent d’enfermer autrui dans une identité particulière.

L’auteur de la lettre aux hébreux nous fait franchir une troisième étape, la plus radicale.

« Dans la foi, ils moururent tous, sans avoir obtenu la réalisation des promesses, mais après les avoir vues et saluées de loin et après s’être reconnus pour étrangers et voyageurs sur la terre. »

Aujourd’hui comme hier, l’étranger est celui qui met en question ma manière de vivre et de penser, ou qui du moins les relativise, qui me déstabilise dans mes certitudes culturelles et dans mes valeurs quotidiennes, dont le comportement m’étonne, me dérange ou m’amuse.

L’auteur de la lettre nous appelle à agir semblable à un étranger.

Il nous appelle à fragiliser, décaler, déstabiliser les valeurs de ce monde.

En effet, celui qui prend au sérieux l’Evangile ne peut que prendre ses distances par rapport à ce monde, à remettre en question ses valeurs dominantes et ses normes et à être en ce sens « étranger ».

En agissant ainsi, nous ne faisons qu’être fidèle au Christ.

Jésus est en effet cet étranger inintégrable, qui finit sa vie rejeté par tous, vaincu, humilié, ridicule.

Le Dieu dont il parle, dont il nous montre le visage, fait de nous des étrangers, citoyens d’un monde décalé.

Et parce que les chrétiens sont étrangers, ils ne peuvent qu’être proches de tous les étrangers, ceux qui viennent d’un autre pays, ceux qui ont une autre couleur, une autre religion, d’autres mœurs, d’autres références culturelles, mais aussi ceux qui sont étrangers parce que « pas dans la norme », ceux que notre société a isolés ou marginalisés dans des ghettos (prisons, hôpitaux, maisons de retraite, asiles, internats, etc…), et également ceux qui sont décalés par rapport à une image sociale de référence plus rigide et bornée qu’il ne paraît, par exemple les mous, les gros, les laids, les lents, tout simplement différents, quelle que soit leur différence.

Parce que les chrétiens se savent différents, tous les différents devraient leur sembler proches.

Etre un étranger … et un voyageur sur la terre.

Il y a quelques mois, nous avons consacré un dossier de Notre Effort au Japon.

Une jeune fille, de parents français et japonais, évoquait sa double culture française et japonaise, et concluait son article par ces mots : « Je ne suis pas d’un bord ou d’un autre, je navigue entre les deux ».

Ce qu’elle écrivait, chaque chrétien pourrait le reprendre à son compte.

Oui, nous aussi, nous naviguons entre deux bords : notre culture et l’Evangile, la société dans laquelle nous évoluons et le Royaume de Dieu.

Cette réalité fait de nous voyageurs sur la terre. Et elle est profondément dynamique.

Dans la Bible, de nombreuses vies sont bouleversées : Sarah a un enfant ; Moïse renonce à sa condition de petit-fils adoptif du pharaon et prend le parti du peuple hébreu persécuté.

Cette dynamique se traduit par une profusion de verbes d’action, ainsi que l’illustre le verset consacré aux prophètes : « eux qui, grâce à la foi, conquirent des royaumes, mirent en œuvre la justice, virent se réaliser des promesses, muselèrent la gueule des lions, éteignirent la puissance du feu, échappèrent au tranchant de l’épée, reprirent vigueur après la maladie, se montrèrent vaillants à la guerre, repoussèrent les armées étrangères; des femmes retrouvèrent leurs morts par résurrection ».

Cette dynamique n’est pas épuisée.

Aujourd’hui encore, nous dit en substance l’auteur de la lettre, le chrétien commence à vivre dans une réalité spirituelle nouvelle mais il reste marqué par son ancienne logique de vie.

Entre ces deux pôles, le chrétien chemine.

Un jeune chrétien récemment converti parlait de sa situation de nouveau baptisé comme d’une « mue ».

Il avait commencé à perdre son ancienne peau, ses anciens réflexes, mais sa nouvelle peau n’avait pas encore complètement remplacé la précédente.

Il croyait que cet état de fait était dû au caractère récent de sa conversion.

Nous lui avons expliqué qu’il en était ainsi pour tout chrétien.

Nous cheminons, nous sommes voyageurs, pèlerins, et donc quelque part étrangers.

Comme l’écrit un auteur anonyme du 2ème siècle : « Les chrétiens résident, chacun dans sa propre patrie, mais comme des étrangers domiciliés. Ils s’acquittent de tous leurs devoirs de citoyens, et supportent toutes les charges comme des étrangers. Toute terre étrangère leur est une patrie, et toute patrie leur est une terre étrangère. Ils sont dans la chair, mais ne vivent pas selon la chair. Ils passent leur vie sur la terre, mais sont citoyens du ciel. » (Épître à Diognète, fin 2è siècle)

Cette patrie céleste est notre cap, notre horizon.

Nous n’y sommes pas et même lorsque nous avançons dans sa direction, nous avons le sentiment qu’elle s’éloigne de nous. Mais malgré tout, comme tout horizon, elle donne la direction à suivre.

En la suivant, nous sommes voyageurs, nous sommes mis en mouvement, nous devenons prêts à évoluer, à grandir intérieurement, à remettre en cause notre façon d’être, d’entrer en relation, de vivre avec les autres, de consommer, de croire, d’accueillir.

Nous sommes itinérants, voyageurs.

Comment pourrions-nous de pas être en empathie avec d’autres itinérants, d’autres voyageurs, d’autres étrangers ?

Amen !