Notre Effort n° 363 / juin 2011

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Édito : Pentecôte aujourd’hui

Cela s’est passé il y a 2000 ans : une foule de pélerins est rassemblée à Jérusalem pour la fête juive du Shavouot (fête du don de la Thora), lorsque quelques hommes et femmes suscitent l’étonnement et la curiosité par leur joie débordante et des propos surprenants. Ils disent à tous que le rabbi Jésus, crucifié par les Romains, est vivant parce que Dieu l’a ressuscité de la mort. Ils affirment qu’il était bel et bien le Messie attendu par le peuple et annoncé par les prophètes. La nouvelle se propage tel un feu.

Les pèlerins à Jérusalem, venus des quatre coins de l’empire romain, une fois retournés chez eux, en parleront à d’autres. Ainsi, dès le lendemain, l’Évangile passe les frontières, dans un élan et une visée universels qui cherchera au fil du temps sa route vers les cinq continents du monde.

Si l’Eglise en France ou en Europe ressemble parfois à une vieille dame – respectable, mais fatiguée après 2000 ans d’histoire chrétienne –, les Eglises d’Afrique, d’Asie et d’Amérique latine sont jeunes et remplies de jeunes ! Ces églises sont souvent habitées par un enthousiasme contagieux, une créativité indéniable et une joie d’annoncer l’Evangile qui est la marque de l’esprit de Pentecôte.

Certes, à l’instar de l’église primitive à Jérusalem qui a connu des tâtonnements et des erreurs de jeunesse, ces jeunes Eglises en Afrique ou en Asie y sont (ou y seront) pareillement confrontées. Mais une chose est sûre : dans ce XXIe siècle, l’Eglise va prendre d’autres visages, créer des théologies et des liturgies nouvelles, se « rajeunir » dans sa rencontre avec d’autres cultures et avec la jeunesse africaine, asiatique ou latino-américaine, qui a déjà commencé mais nous n’en sommes encore qu’au début. Alors, l’Eglise : une vieille dame respectable et fatiguée ou une Eglise jeune qui a l’avenir devant elle ?

Andréas Lof

 

Dossier : Spectacle vivant

Introduction

Sous nos yeux, à l’instant même, les arts du spectacle vivant – théâtre, musique, danse, contes, mime, cirque, arts de la rue – se singularisent par ces deux moments qui l’encadrent : l’entrée sur scène et le baisser de rideau. Dans cet intervalle de temps, public et artistes créent ensemble un environnement qu’ils savent nouveau, unique, éphémère. On ne ressort jamais comme on est entré.


La danse, cet autre langage qui nous parle de l’âme

« L’âme exige une expression qui, tenant compte de son aspiration à l’universel, l’exprime tout entière » (Jung).

Depuis plusieurs années, je me passionne pour la danse contemporaine et je vais régulièrement voir des représentations. A chaque fois, ce sont la même excitation et la même joie qui m’habitent avant de découvrir un nouveau spectacle ! Car si les mots suffisent pour parler du monde, la danse est un autre langage qui nous parle de l’âme.

Les arts vivants relèvent de l’éphémère. L’espace d’un instant, ils se vivent à travers l’interprétation ! Et il arrive que l’instant soit magique. La magie qui « rend visible l’invisible », pour reprendre une expression de Paul Klee parlant notamment des arts de la danse. La danse, l’art du mouvement, motion en anglais… On entend « e-motion ». La danse s’incarne dans des mouvements expressifs, chargés d’émotion. Et plus particulièrement dans la danse contemporaine, née après la Seconde Guerre mondiale et qui prend son essor dans les années 1970. Le spectacle ne peut être réduit aux mouvements et aux gestes physiques qui le composent.

Ainsi, pour reprendre les propos d’une historienne de la danse s’exprimant sur le travail de Pina Bausch, chorégraphe allemande, fondatrice de la danse théâtre et l’une des pionnières de la danse contemporaine : « Ce n’est pas de la danse telle qu’on l’entendait jusque-là et encore moins du théâtre. Ce n’est pas de la danse car les danseurs qu’elle met en scène n’exécutent pas une danse : ils sont. Ils sont là dans toute leur intensité d’individus. C’est aussi pourquoi ce n’est pas du théâtre. Ils ne jouent pas un rôle, ce ne sont pas des personnages, mais des personnes. Ils ne représentent qu’eux-mêmes, mais reflètent l’humanité toute entière ».

Libérée des codes de l’univers du ballet classique, la danse apparaît ici comme un moyen d’expression des plus intimes, touchant notre histoire ou notre inconscient. Le danseur, par ses mouvements et ses rapports aux autres danseurs, dessine un chant du corps exprimant nos sentiments et questionnant notre rapport au monde. Comme un appel à la transcendance, la danse est alors une occasion de se rapprocher de soi-même. A l’instar du mythe, elle apporte un élargissement et un enrichissement de l’expérience de la vie.

Rêves dansants

En 1978, Pina Bausch met en scène Kontakthof, ce qui veut dire, en allemand, « lieu de rencontre » et, par extension, « maison de passe ». A l’intérieur d’une salle de bal, hommes et femmes se cherchent, se fuient, se déchirent, instant décisif de la rencontre, désir, naïveté, séduction, dispute, abandon, peur, égoïsme… ! Trente ans plus tard, Pina Bausch reprend la pièce avec des danseurs amateurs de 65 ans et plus. Puis en 2008, avec 40 adolescents allemands qui ignorent tout de la danse ; le documentaire Rêves dansants, sur les pas de Pina Bausch, consacré à ce projet, révèle la force de cette expérience qui va peu à peu métamorphoser ces jeunes confrontés aux émotions inscrites dans la chorégraphie.

Sous la direction de deux anciennes danseuses de Pina Bausch et sous le regard lucide, mais plein de tendresse et d’empathie, de la grande chorégraphe, ils vont peu à peu apprendre à faire confiance à leur corps et à s’ouvrir aux autres, balayer leurs peurs et leurs inhibitions. On mesure tout le chemin accompli entre les jeunes candides filmés au début et les danseurs plus confiants, graines d’hommes et de femmes plus matures, qu’ils sont devenus au moment de la représentation finale. Une véritable leçon de vie et de pédagogie !

Béatrice Russeil


Demandeurs d’asile sur scène

 

Entretien avec Véronique Laurens à propos d’un projet de la Cimade avec le Théâtre du Soleil

Novembre 2007, Théâtre du Soleil à la Cartoucherie de Vincennes. Pour la première fois, je découvre ce lieu dont j’ai tant entendu parler. Dissimulé dans les bois, tout à la fois grandiose et à taille humaine, chaleureux. Le charme et la magie opèrent.

A première vue, on s’attend à voir du théâtre professionnel, du « grand » spectacle et des « pointures » à l’affiche. Je suis là pour une pièce : « La première fois on m’a dit… Faces à Faces ». C’est un enchaînement de petites scènes, jouées par des comédiens… amateurs. Car ici, la grandeur s’incarne avant tout dans une approche globale, des projets de vie et l’aventure humaine ! Ce spectacle dépasse les clivages théâtre amateur/théâtre professionnel, puisqu’il se trouve au cœur de la problématique du théâtre et de l’art : donner du sens.

Issu d’un projet né en 2003, en collaboration entre le Théâtre du Soleil et la Cimade, il est écrit et interprété par des adultes en attente d’une réponse à leur demande d’asile déposée auprès des services français de protection des réfugiés. S’inspirant de leur propre histoire, ils témoignent des circonstances de leur arrivée en France et des premières rencontres qu’ils y font. Des impressions parfois décisives pour la suite de leur parcours. Sur scène, il se passe vraiment quelque chose, le spectacle est saisissant : quoi de plus troublant que de comprendre, en les écoutant, à quel point la violence, même si elle n’est que symbolique, est également présente dans le pays où ils viennent d’arriver, la France ? Heureusement, il y a aussi les hasards heureux, porteurs d’espoir…

J’ai rencontré Véronique Laurens, qui a été la coordinatrice de ce projet pour la Cimade. Elle m’a éclairée sur l’origine, les attentes et les résultats de cette action. A l’origine, un constat : les demandeurs d’asile vivent dans une extrême précarité en France. Pendant des mois, ils sont dans une situation d’attente, sans activité qui donnent sens à leur vie présente, qui leur permet de se projeter dans un avenir. Cette situation génère des troubles physiques et psychiques qui peuvent s’ajouter aux traumatismes subis dans leur pays d’origine.

De 2003 à 2007, la Cimade a mis en œuvre deux projets spécifiques d’accueil, d’accompagnement et de formation des demandeurs d’asile à Paris : le projet Euraccueil (2003-2005) et le projet FAAR (Formation, accueil des demandeurs d’asile et des réfugiés, en 2005-2007). Le volet formation-apprentissage du français a pris, entre autres choses, la forme d’un atelier-théâtre animé par Hélène Cinque, une ancienne comédienne du Théâtre du Soleil et directrice de la compagnie L’Instant d’une résonance.

La collaboration entre le Théâtre du Soleil et la Cimade n’a pas été seulement technique, elle a été avant tout militante, éthique et politique, à partir de valeurs partagées autour d’une certaine idée de l’homme et du rapport à l’autre : toute personne a droit à la reconnaissance, à sa place, au respect et à la dignité, où qu’elle vive, d’où qu’elle vienne. Elle doit pouvoir être écoutée, se faire comprendre et s’exprimer en son nom propre. Ces valeurs rencontrent un écho dans la façon qu’a le Théâtre du Soleil de concevoir la place de l’individu, acteur dans la dynamique de la création collective, et dans le choix de la Cimade de reconnaître le droit aux demandeurs d’asile d’exister comme tout un chacun dans notre société.

Des attentes multiples : au-delà de l’apprentissage du français, c’est aussi permettre une autre entrée dans la langue et la culture, prendre plaisir à s’exprimer en français, développer une prise de parole individuelle, collective et publique. L’enjeu est enfin de faire évoluer le regard des stagiaires sur eux-mêmes et sur le monde autour d’eux : dépassement personnel, capacité insoupçonnée d’aboutir à un résultat en français, dire au monde sa souffrance et son espoir, rencontrer d’autres personnes, vivre et faire avec d’autres.

Le résultat est à la hauteur des espérances : fondé sur une approche singulière du théâtre, ce projet a permis de répondre aux attentes initiales. Nous viennent en particulier à l’esprit deux formes originales de théâtre. Rappelons ici les apports du théâtre de la spontanéité et du théâtre de l’opprimé. Jacob Levy Moreno (théâtre de la spontanéité) a mis au point la technique du psychodrame, afin d’exploiter systématiquement l’improvisation dramatique à des fins psychologiques, d’investigation et de traitement. Augusto Boal (théâtre de l’opprimé) a lui pris position contre l’oppression du théâtre comme forme qui enferme le spectateur dans la passivité. Selon lui, la raison d’être du théâtre doit être d’amener les participants à transformer le cours du jeu. La représentation n’est plus préfabriquée, elle s’invente à chaque fois.

Le résultat se résume dans cette belle parole d’Hélène Cinque : « Tout à coup, ils ne subissent plus l’attente, ils l’oublient presque, parce qu’ils sont attendus » !

Propos recueillis par par Béatrice Russeil


Les matchs d’improvisation

Improviser au théâtre ne s’improvise pas

Du travail d’entraînement d’un improvisateur au match d’improvisation, il n’y a pas qu’un pas ! Souvent les gens qui viennent voir les matchs d’improvisation théâtrale nous posent la question : « Est-ce que vous improvisez vraiment ou est ce que vous vous basez sur des trames ? » Non, l’improvisation reste de l’improvisation et bien au contraire, ce que nous apprenons en premier lieu, c’est à lâcher prise et à se mettre en résonance avec ce qui arrive.

Le lâcher prise fait en effet partie intégrante de la panoplie du comédien improvisateur, au même titre que ce que nous appelons « l’écoute ». Ecoute de l’autre, mais aussi écoute de soi, car contrairement à un comédien traditionnel qui va interpréter une pièce, le comédien improvisateur est affublé d’un jogging noir et d’un maillot de hockey sur glace comme seul costume. Il devra, ainsi vêtu, se transcender pour devenir tour à tour cow-boy, pompier, marin, chef d’entreprise…

Un comédien traditionnel, avant d’entrer en scène, possède un texte, un costume, une mise en scène, des éclairages, un maquillage. Il sait ce qu’il doit jouer et comment il doit le jouer, car il est dirigé. Notre comédien improvisateur s’entraîne à être dans la réactivité la plus totale pour être au service de l’histoire qui est en train de s’écrire. Car ne nous y trompons pas, pour que le public puisse voir une belle histoire improvisée, notre comédien improvisateur devra être capable dans le même temps d’écrire son histoire, de la jouer et de la mettre en scène.

Improviser, ça ne s’improvise pas. Même si l’improvisation existe dans le théâtre depuis les Grecs, certains ont développé cet outil très puissant pour en faire une discipline à part entière. On le voit d’ailleurs régulièrement utilisé au sein de certaines entreprises pour ses qualités désormais indispensables. Le team building en est l’exemple le plus parlant. En effet, en improvisation théâtrale, on ne peut pas construire sans l’autre, l’autre devient un appui : il apporte des pierres à notre édifice.

Dans les entraînements d’improvisation théâtrale, le comédien apprend surtout à développer au maximum les qualités comme l’écoute ou la réactivité, qui feront de lui un improvisateur qui ne doute pas et qui est capable de construire avec n’importe qui sur les mêmes codes et avec le respect des mêmes valeurs. Un peu comme une partition qu’on pourrait donner à interpréter à un musicien à Tokyo puis à Mexico. On apprend aussi à exploiter ce qu’apporte l’autre. Une information apportée dans une histoire doit être validée puis traitée jusqu’au bout avant que n’intervienne une proposition qui fera avancer l’histoire.

Dans le cadre du match d’improvisation théâtrale, nous apprenons aussi les règles et le décorum de ce spectacle inventé par Robert Gravel principalement, mais entouré d’Yvon Leduc, Anne-Marie Laprade, Jean-Pierre Ronfard, Pierre Martineau, Yvan Ponton et d’autres, au Québec en 1977. Il part du constat qu’au Québec les théâtres sont vides alors que les matches de hockey reçoivent 5 000 spectateurs ; il décide alors de faire venir le hockey au théâtre.
L’aventure, qui vit le jour le 21 octobre 1977, ne devait durer que six représentations ; elle se joue depuis sans cesse dans de nombreux pays.

C’est une forme d’improvisation très codifiée, mais cela reste avant tout un spectacle, un show. Et le public aime se prendre au jeu, voter pour une ou l’autre équipe, envoyer une pantoufle pour exprimer son mécontentement. Ce qui est travaillé en entraînement par nos comédiens est ensuite naturellement mis en pratique pendant les improvisations, où l’improvisateur ne peut pas se sentir désarmé face à une situation. Il sera prêt à rebondir en toutes circonstances et en tout lieu, face a n’importe quel personnage.

Fort de ses qualités et de ses automatismes, l’improvisation est un outil formidable de développement personnel pour gagner en aisance dans sa vie de tous les jours, vie privé et vie professionnelle.

Lionel Pernet
comédien improvisateur et formateur

 

 

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