L’accueil de l’étranger

6e table ronde interreligieuse : « L’accueil de l’étranger » (2010)

Contribution chrétienne (catholique)
par le père Jean-Paul Henry

L’étranger a plusieurs visages : ami, hôte de passage, travailleur immigré, ennemi parfois… L’accueil de l’étranger se vit de diverses manières selon les contextes socio-politiques.

La foi chrétienne comporte une conception des rapports entre humains qui, dans leurs différences mêmes, sont tous créés à l’image de Dieu. A ce titre l’étranger est un frère en humanité. Il a droit à une patrie, quelle que soit sa race ou sa religion, droit à l’immigration, droit à une vie familiale décente dans son lieu d’accueil.

Cette conception, qui relève d’une morale universelle, est soutenue aussi par la tradition de l’Eglise et sur l’enseignement de Jésus et de ses disciples. Jésus était juif et il s’est adressé à des compatriotes (les « brebis d’Israël ») en priorité. Cependant il a préparé le terrain pour une ouverture de sa prédication hors des limites de son pays. Il a admiré de manière provocante la foi et la générosité de certains païens. Il a encouragé à faire le premier pas, à se faire le prochain de l’autre, qu’on pourrait éviter pour bien des raisons.

Au cœur de la foi chrétienne il y a la notion de résurrection. Au-delà de sa mort, Jésus se donne à rencontrer vivant sous des traits jusque-là inconnus qui invitent à aller vers l’étranger. « Elevé de terre, il attire tout homme à lui ». Il abat les barrières entre les humains. Il rend possible à travers lui le pardon, l’amour des ennemis. Dans l’histoire des premières communautés chrétiennes, l’adhésion à la foi chrétienne de gens d’origines diverses (juifs et païens) a posé des problèmes de coexistence, de comportement vis-à-vis de certaines prescriptions venant du judaïsme. Elle a été l’occasion également d’initiatives de solidarités pour l’organisation de la vie communautaire et la mission.

Les problèmes de communion entre croyants ne sont qu’un aspect de la question de l’accueil de l’étranger. L’histoire nous enseigne qu’il a fallu du temps pour que des sociétés aux racines chrétiennes réagissent contre l’esclavage, la traite des Noirs, les génocides, l’apartheid… Des initiatives sont prises aujourd’hui pour accueillir les migrants quelle que soit leur religion, pour les soutenir dans leurs démarches et les aider à s’insérer : initiatives de mouvements caritatifs, engagements personnels de chrétiens dans des associations laïques ou multiconfessionnelles, notamment contre les discriminations et les politiques de repli.

La rencontre de l’étranger demande de l’éducation (mieux se connaître, faire tomber les peurs et les préjugés). Il faut aussi du temps pour permettre les maturations, les dépossessions de soi, les réconciliations, les partages dans la confiance. S’il y a une approche spécifiquement chrétienne de cette question, elle se situe au niveau des raisons d’espérer. L’étrangeté d’un Dieu passionné d’humanité permet que les rencontres douloureuses puissent devenir fécondes, que les barrières tombent, la peur de l’autre fasse place au respect, à l’échange, à l’enrichissement mutuel.


Contribution musulmane
par l’imam Hassan El Houari

Le mot « islam » est un mot dérivé de deux mots : « soumission » et « paix ». En effet, la soumission (islam), c’est le fait de se soumettre librement au Tout-Puissant comme le recommande le verset suivant : « Et revenez repentant à votre Seigneur et soumettez-vous à Lui » (V54 – Chapitre 39, Les groupes). Et la paix envers tous ceux qui vivent autour du musulman est recommandée par Dieu : « Et s’ils inclinent à la paix, incline aussitôt vers celle-ci [toi aussi] » (V61 – Chapitre 8, Le butin).

Pour résumer, l’Islam regarde l’Autre comme quelqu’un avec qui il faut vivre dans la reconnaissance mutuelle et le respect. En aucune façon, l’Autre n’est considéré comme étranger, mais bel et bien comme un frère en humanité.

Dieu dit : « Ô hommes ! Nous vous avons créés d’un mâle et d’une femelle et Nous avons fait de vous des nations et des tribus pour que vous vous entre-connaissiez. Le plus noble d’entre vous, auprès d’Allah, est le plus pieux. Allah est certes Omniscient et Grand-Connaisseur » (V13 – Chapitre 49, Les appartements). Et le Prophète rappelle à la fin de son message : « Ô gens ! Sachez que votre Seigneur est Unique et que votre père est unique. Sachez qu’il n’y a aucune différence entre un arabe et un non-arabe. Il n’y a pas de différence non plus entre un Blanc et un Noir, si ce n’est par la piété. Ai-je bien transmis le message ? » Dieu dit : « Allah ne vous défend pas d’être bienfaisants et équitables envers ceux qui ne vous ont pas combattus pour la religion et ne vous ont pas chassés de vos demeures. Car Allah aime les équitables » (V8 – Chapitre 60, L’épreuve).

L’Islam n’est que la continuité et l’accomplissement des messages qui l’ont précédé. Le Prophète considère tous les prophètes comme ses frères. C’est lui-même qui dit : « Je n’ai été envoyé que pour parachever les nobles caractères ». Dieu dit, à propos du prophète Mohammad, que la paix et la bénédiction soient sur lui : « Et Nous ne t’avons envoyé qu’en miséricorde pour l’univers » V107 – Chapitre 21, Les prophètes).

Ainsi a-t-Il dit à propos du prophète Moïse, que la paix et la bénédiction soient sur lui : « Puis Nous avons donné à Moïse le Livre complet en récompense pour le bien qu’il avait fait et comme un exposé détaillé de toute chose, un guide et une miséricorde. Peut-être croiraient-ils en leur rencontre avec leur Seigneur [au jour du Jugement dernier] » (V154 – Chapitre 6, Les bestiaux).

Dieu dit également au sujet du Prophète Jésus, que la paix et la bénédiction soient sur lui : « Elle dit : « Comment aurais-je un fils, quand aucun homme ne m’a touchée, et je ne suis pas prostituée ? » Il dit : « Ainsi sera-t-il ! Cela M’est facile, a dit ton Seigneur ! Et Nous ferons de lui un signe pour les gens et une miséricorde de Notre part. C’est une affaire déjà décidée » » (V20-21 Chapitre 19, Marie).


Contribution chrétienne (protestante)
par le pasteur Andréas Lof

La plupart de nos pays européens ont vu se développer ces dernières années – parfois d’une manière spectaculaire comme aux Pays-Bas – des partis politiques ouvertement xénophobes. Il faut se rendre à l’évidence : un nombre grandissant de nos citoyens exprime ainsi la peur de l’étranger, le rejet de l’étranger.

Face à ce phénomène inquiétant, mon église protestante réformée s’est souvent exprimée dans des déclarations officielles sur ce sujet. En 1995, elle a consacré son synode annuel à ce thème. Dans sa déclaration finale elle a invité ses membres, mais aussi les instances politiques « à résister à l’effet de fermeture résultant de la “forteresse Europe” et à prôner une politique d’asile digne de ce nom, soucieuse d’abord de la protection des individus menacés et non de la sécurité de la nation ».

Dans notre communauté chrétienne à Asnières – Bois-Colombes, il y des personnes fortement engagées dans la Cimade (organisation d’origine protestante) qui lutte pour les droits des réfugiés politiques et l’accueil des étrangers en France ; d’autres sont engagés dans l’association Dom’asile qui propose à des étrangers sans papiers une adresse et un soutien. Au Centre 72, qui est le lieu principal de notre vie d’église, nous accueillons presque tous les jours des étrangers envoyés par les assistantes sociales pour une aide vestimentaire. Dans notre église locale, nous comptons jusqu’à 35 nationalités différentes et cela est pour nous une source de joie, de partage et d’enrichissement mutuel.

La conviction à laquelle nous sommes particulièrement attachés en tant que protestants et qui guide notre foi et notre éthique est la suivante : Dieu est celui qui accueille tous les hommes en Jésus-Christ, et cela sans exception, quelle que soit sa vie, son origine, sa culture ou sa religion. L’amour de Dieu dépasse les frontières des hommes.

Jésus s’est considéré d’abord comme le messie de son peuple et a orienté sa mission vers Jérusalem. Mais plusieurs pages de l’Evangile témoignent de son accueil de l’étranger. Il fait l’éloge d’un centurion romain, considéré comme un ennemi dans une Palestine occupée ; il fréquente les Samaritains, un peuple voisin du peuple juif, mais considéré comme hérétique ; il se laisse interpeller par une femme étrangère, la Cananéenne, jusqu’à lui donner raison.

Nous vivons à l’heure de la mondialisation et de la rencontre des peuples, du métissage des cultures et d’une mobilité des personnes sans précédent dans l’histoire. Ce processus est incontournable. Mais pour beaucoup, la rapidité des évolutions est source d’inquiétude. Les mentalités évoluent moins vite que le monde autour de nous.

Le monde de demain sera de plus en plus pluriculturel et plurireligieux, caractérisé par le métissage. Nous sommes tous encore étrangers face à un monde nouveau qui se dessine sous nos yeux. Le mot « étranger » vient d’étrange. L’étrange peut être source de peur et d’inquiétude ou de curiosité et de découverte. L’étrange demande en tout cas d’être apprivoisé comme on apprivoise une langue étrangère. Ce qui demande toujours un effort, un apprentissage. Sans doute l’école a-t-elle un rôle plus important encore à jouer pour donner des repères, des connaissances de base à nos enfants pour mieux comprendre les expressions religieuses et culturelles diverses. Nos communautés religieuses locales peuvent y contribuer à leur niveau par une catéchèse ouverte à la rencontre des hommes et des femmes d’autres religions et d’autres horizons.

Notre société européenne de demain ne sera, hélas, pas plus tolérante avec les crises financières et sociales qui nous attendent. Osons et choisissons fermement de résister aux tentations de repli sur nous-mêmes dans nos communautés religieuses, dans nos vies personnelles et dans nos choix politiques. Au nom de Celui dont l’amour traverse toutes les frontières.


Contribution juive : « Respect et amour de l’étranger dans le judaïsme »
par le rabbin Ariel Bendavid

Deutéronome chapitre 10. 17-19 : « Car l’éternel, votre Dieu, c’est le Dieu des dieux et le maître des maîtres, Dieu souverain, puissant et redoutable, qui ne fait point acception de personnes, qui ne cède point à la corruption, qui fait droit à l’orphelin et à la veuve, qui témoigne son amour à l’étranger, en lui assurant le pain et le vêtement. Vous aimerez l’étranger, vous qui fûtes étrangers dans le pays d’Egypte ! »

Analyse du texte et du contexte

Ce texte est structuré en trois versets dont les deux premiers parlent de D. et dont le troisième consiste à édicter une mitsva, un commandement à destination de l’homme. Que nous disent les deux premiers versets de D. et qu’est ce que cette triple caractérisation de D. peut avoir pour nous, lecteur du texte. Ce qui nous est dit, c’est qu’il est caractérisé par la puissance évoquée par deux superlatifs très parlants : il est le D. des dieux et le Maître des maîtres, deux superlatifs renforcés par trois adjectifs : grand, puissant et redoutable. L’être divin est au-dessus de toute hiérarchie, il est en rupture des sens avec l’humain.

Le respect et l’amour de l’étranger comme un leitmotive qui revient de manière insistante dans les cinq livres de la Torah

Dans le deuxième verset, ce n’est plus D. qui est évoqué, mais l’action divine. Ce D. au-dessus de toute hiérarchie va se caractériser par une action exprimée par deux verbes dans le verset 18, il est d’abord celui qui fait droit, qui rend la justice ; la deuxième action est : « il aime », il témoigne son amour à deux catégories emblématiques de la faiblesse et de la vulnérabilité, l’orphelin et la veuve, c’est D. qui se charge de leur rendre justice. Mais il y a une troisième catégorie qui est évoquée, c’est celle de l’étranger. L’étranger a droit en plus de la justice, à l’amour divin. L’étranger qui est souvent seul, coupé de ses racines, de ses repères, coupé de ses habitudes, de tout son ancrage familial, social, coupé de sa langue. C’est précisément ce que chacun de nous peut ressentir quand il est à l’étranger, il se sent seul et a du mal à se faire comprendre. L’amour de l’étranger dans ce passage se traduit par une action concrète de la part de D. IL offre à l’étranger pain et vêtement, il assure les besoins physiques, mais aussi les besoins sociaux de l’homme. Le vêtement, c’est non seulement ce qui vous protège du froid et des intempéries, mais ce qui vous protège aussi du regard d’autrui. Le vêtement, c’est aussi ce qui permet à l’homme de paraître en société. L’exégèse biblique remarque que cet octroi du pain et du vêtement correspond exactement à la prière de Jacob dans la Genèse, au moment où il quitte son ancrage familial poursuivi par la haine meurtrière d’Esaü, son frère, il va se retrouver sur le chemin de l’exil, totalement démuni et coupé de sa famille, il va prier D., lui demandant pain et vêtement. Jacob est à ce moment de sa vie l’étranger par excellence.

La nature exacte de l’étranger. Qui est exactement le « guer », comme appelé dans la Torah ?

Dans le troisième verset, après cette caractérisation de l’être divin et de l’action divine, vient le commandement : « vous aimerez l’étranger car vous étiez étranger en pays d’Egypte ». C’est un commandement dont la formulation est frappante par sa brièveté, après ce long préambule. Il s’agit pour l’homme d’agir. Ce commandement est lié à ce qui précède par deux mots : aimer et étranger, qui constituent une double chaîne, lexicale et sémantique, qui assure un lien entre D. et Israël. Il s’agit pour les deux d’aimer l’étranger, c’est l’identité de comportement qui doit être assumée par l’homme ; de même que D. aime l’étranger, l’homme doit imiter D. et aimer lui aussi l’étranger. Il y a un autre lien qui est créé, entre Israël et les étrangers, il y a ici identité de statut, comme le dit le texte : vous avez été étrangers en terre d’Egypte ». Vous, Israël, plus que quiconque, vous devriez être à même de comprendre l’état et l’état d’esprit de l’étranger. Aimer l’étranger, c’est le contraire de profiter de la supériorité objective de celui qui est installé, le nanti, qui pourrait profiter de cette situation pour exercer un pouvoir sur lui.

 

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